l ' 1 1 k. ■ ; 1 llMUUM /2^'' ŒUVRES DE MONSIEUR PE FONTENELLEir TOME TROISIÈME^ librjib.es j s s g ci es, PîSSOT, Père & Fils, Quai des AuguHinSr Veuve De s AI NT, rue du Foin. Delalain l'aînc, rue S, Jacques. Nyon Taînc , rue du Jardinet , quartier S. André-des-Arcs. Routard, Imprimeur de laEeine,ru^ des Matin; rins. D E Jfï o N V î L L E , Imprimeur de 1" Acadé-j raie Françoife, rue Chrifline. - T,„ ^ Trn.' ^i y"Helffoni^m 1/ a rr/iJu sû/i Tro/ie .7./'«/X-.-..'; U V R E S DE MONSIEUR DE FONTENELLE, Des Académies , Françoife , à ' V .:■;.::,.:;:::;:,.::.•=:>=.■:••■>:.>: ;<>c- :-;:••: : o<^<-' -<:->;■ ]^ yQmmù ^^<^ m^^m^i VIE M.CORNEÏLLE, A y E c L' H î S T O I R E DU THEATRE FRANÇOIS jusqu'à lui, £ T Des Réflexions fur la Poétique^ J[_i A Vie de M. Corneille , comme particulier , n'a rien d'aflez important: pour mériter d'être écrits ; & à le re- garder comme un Auteur illuilre, fa Vie eft: proprement l'Hiftoire de fes Ouvrages. Mais celte Hiftoire demande A iij 6 naturellement d'être préce'dée par allé du Théâtre François : il eft bon de re- préfenter en quel état il fe trouvoit lorfque les Ouvrages de M. Corneille commencèrent à y paroître. J'ai cru que par ce moyen je ferois un éloge fort fimple de ce grand Homme, & qu'en même temps je donnerois à mon fu]e2 un ornement affez agrcabls. aggaaaBbjw ij»kwi laaiaaB— imM»iiii mii^i I '■* IRE D U THÉÂTRE FRANÇOIS JUSQU'A M. CORNEILLE. fyÊ^^^ u A N D il s'agit de faire l'Hif- jT'Il^^liî toire de l'origiDe ou du pio- \Y^^rM' grès des Lettres en France , ff.,-riî«r^îî^ les (i-x OU fept preiT-i-ii-^ fi6- cles dé la Monarchie ne tiennent guères de place. Les irruptions des Peuples du Nord dans l'Empire Romain , la barba- ris de leurs mœurs 5 & les ravages con- tinuels de la guerre , étouffèrent peur long-temps les Sciences , à qui il faut , aiafi qu'à das plantes délicates , un air doux & beaucoup de foin. L'onzième fîccle eft célèbre pour l'ignorance ; & en effet , clic y fut portée à un haut de* A iv ^ Histoire gré. Cependant ce fut alors , a ce qu'otî peut conjefturer , que prirent nalflance les Poètes qui écrivirent en Roman , c'efl--à-dire en Langue Romaine cor- rompue 5 qui étoit devenue la feuIôJ langue vulgaire. Ils fe firent davantage conncître dans le douzième fiècle fou9 les noms de Trouvencs ou Troubadours y Conteours , Chamcrres (S* Jon^lcoiirs, Le§ 'irouverrcs ou Conteours étoient le^ vrais Poètes; ils inventoient les fujets,^ & les mettolent en rimes. Les Chanter-i res & Jongleours ne faifoient que chan-t ter les Poëfîes fur leurs inftrumens. Oi>. les appelloit auitïi Méncfirels, Les origines de toutes chofes nousi f.)nt prefque toujours cachées , & c'eft un a(]e2 agréable Ipedacle perdu pouç notre curiofitd : mais heu reu Cernent iious retrouvons ici une origine de \^ Focde à peu-près telle qu'elle a dû être» ■chez les plus anciens Grecs. La Nature feule faifoit ces Poètes dont nous par- lons, & fart ni l'étude ne lui en pou- voient difputer l'honneur. A l'égar^ desTrouverres, les Grecs ni les Latins îi'avoient jamais été : perfonnc , fans exception , n'entendoit le Grec ; il n'y avoit que quelques Eccléfiafliques qui entendifîent le Latin j S<. les Gens ha»^ r>u Théâtre François, p; biles favolent par tradition qu'il y avoit eu des Anciens. Auflî leurs Ouvrages étoient-ils fans règles , fans élévation , fans ju ftelTe •, en récompenfe , on y troii- voit une {implicite qui fe rend fon Lec- teur tavorablc, une naïveté qui fait riie fans paroître trop ridicule, & quelque- fois des traits de génie imprévus & aûez agréables. Le chant a fait naître la Poëfie , ou l'a du moins accompagnée dans fa naiîTan-' ce : tous les Vers de Trou verres ont été faits pour être chantés. Quelquefois , durant le repas d'un Prince, on voyoit: arriver un Trouverre inconnu avec fes Méneftrels ou Jongleours , & il leur fai- foit chanter fur leurs harpes ou vielles Jes Vers qu'il avoit compofés. Ceux qui faifcient \Qîfons aulîc bien que lesmois^ étoient les plus eftimés. On dit qu'en- core aujourd'hui en Perfe les Poi'tes n'ont point d'autre fonétion que d'aller par les cabarets , comme nos Vitîleurs, divertir ceux qui veulent bien qu'il leur, en coûte quelque chofe. Parmi les anciens Trouverrcs, (I fem- bîables à des Vielleurs , il s'en trouve un grand n'ambre qui portent de fi beau?c noms, qu'il n'y a point aujourd'hui de grand Seigneur qui ne fut bien heureux '■70 Histoire d'en defcendre. Tel qui par les partages de fa famille n'avoit que la moitié ou 1q quart d'un vieux Clrateau , bien fei- ■gneurial , alloit quelque temps courir Je monde en rimant , 6c revenoit ac- quérir le reile du Cbâteaii. On les payoiten anrns , draps & che- ravx; & , pour ne rien dégiiiter, on leur donnoit auiii de l'argent : mais pour ren- kis près Sans cflernuer Lugemrnt. Enfuite viennent cinquante proccy differens; & en voici un que j'ai choifi , qui pourra donner une idée de tous les autres. Par devant le Marquis diS F leur s & f^io' luttes d"" Amours , s^efl a [fi s un proch d^urz Amoureux demaniai.r d^une p:irt, 6' une /çunt Ami: dé/en dcre^e d autre part ; & di- J'oit ledit Amoureux que tous Us plus grands ru Théâtre Franc ot<>. 19 tiens qui font en Amours , cejl cï' cnintmir Us cucrs l'un de C autre en parfintc alliance & union cTannùJ , & que tontes & quarius fois quun Amant ou une Dame cjl v.ic^ quante ou quelle s^entrewet de complaire à plu fleurs . cejîfi^ne quefon cucr nefl point entier en loyauté ^ & que l'on ne s^y doit pas trop fur. Or ce préfuppofé difoit que cette. Dame cy avait frit plufeurs promeffes , & entre ks autres que jamais nauroit autre, que lui tant quil feroit vivant , & lui pa- reillement à clli : fi en avoient fait ferment Vun à r autre fi grand & folemnel que faire fe peut en tel cas. Et ainfi avoient promis qu'ils neferoicnt chofe à leur pouvoir . par^ quoy nul d'entt^ eux y pût prendre , n'avoir difplaifir\ mais a nononflaiit ladute Damé" puis n^a guère di temps en ça s'entremcttoit d^entrncnir pluficurs Gallans par parollcs , & très 'belles chères défendues en tel cas. Et outre plus pendait tous les jours en fa cein- ture & en fa quenouille bouquets nouveaux & fliurs enans.es , fans que ledit Amant les lui eût données , dont il a un peu de mal €i^aMe\le. Car aucunes fois quand il efl dans fon licl , & s'éveille fur ce^ point , il Tnet bien trois heures à foy rendormir . . . De la part de cette Dame défendereffe fut défendu au contraire. Et difoit que quelques promejjes que firent Dames .fe doivent en-- B ij 20 HiSTOîEË tendre civilement ; c'efi à fçavoir là où fera Uur pliiifir. Et ne donnent jamais Jï grande auclorïté quelles ne foyent fur leurs pieds pour II fer de leurs volontés Cr pLnJirs ; car eU es font Dames. Et Con fçait que Dames ne peuvent renoncer aux biens qui leur pcU' vent venir. Et ont don & privilège de na- ture de rire ù fsire bonne chère à tous , affin aue Con ne puijfe dire qu elles font mal gracieufes . . . Finalement Parties ouyes , fuji abfoluc cette définderejje des pétitions & demandes de ce demandeur , en lui pet' mettant ( s' elle vouloit , en tant que méfier efloit ) de parler , rire \ faluer , & porter bouquets toutes & quan tes fois qu'il lui plai" roi'c , &* bon lui femblerolt. Et condamna ledit Am^ant en fes dépens. On diroit que cet Arrêt ne fut rendu que depuis quatre jours , tant il eft conforme aux ulages & à la pratique d'aujourd'hui. Dans la langue de ce Livre - là , un mari ns s'appelle point autrement que Dangier. Dangier nètoit point au logis. On craint que Dangier ne grnngne. Il cft à marquer qu'un grave Jurifconfuîte, qui ie donnée le nom de Benediclus Car dus Symphoria- mis , fait fur ces bagatelles un t;ès-fé- rieux & très-doéte Commentaire latin , où il entafle Loix fur Loix , ti. Para- gi.iphes fur Paragraphes, pour cclairçir DU Théâtre François. zX ïes queflions qui fe traitoient devant le Marquis des FUurs & des Violettes. Parmi tantd'Ouvrages de Poifies que les douzième & treizième (îècles ont pro- duits, nous n'avons ri^n qui regarde le Théâtre. Seulement i! paroît par THif^ toire des Poètes de Provence , que les Troubadours ont fait quelques Comé- dies ; & il ne nous efl: refté que le nom d'une intitulée de VFIcre^Ja dcls Preyns , de l'héréfie des Prêtres; Pièce appav/'m- ment fort agréable en ces temps & dans ces pays-là , où les Albigeois éc les Vau- dois avoient aifez établi la mode de rail- ler les Eccléfiaftiques. Je trouve encore un autre Ouvrage dont le titre étoit* Contre ce que les Rois & les Empereurs Je font laijjés ajfujeitir aux Cures. 1! efl: vrai que ce n'étoit pas une Comédie \ cela prouve feulement que Ton traitoit vo- lontiers ces fortes de matières. AufTi les Légats des Papes demandoient quelque- fois grâce à ces Poètes. On leur aban- dcnnoit tout l'Univers, à l'exception ds Rome ; & on leur faifoit promettre , mais en vain , qu'ils la ménageroient, L'Auteur de YHeregia dels Preyres s'ap- pelloit Anfelme Faidit. L'HiRoire des Poètes de Provence dit qu'il fut bon Poète; quilfaijoit bons mots & honsfons ; ^2 Histoire quîï vendait fe^ Conisdies & Tragédies dcucè eu trois mi/le livras : Gti'dhcrmcnfts ordon.' noit La Sccne , 6' rcavolt tout h profit. II étoit homme de plaifir, grand joueur, dif- . fîpateur , & qui avoit perdu aux dés tout fon bien de patrimoine. Il tira d'un Mo- naflère de Ja vill^ d'Âix une filie de qua- •lité, nommée Guillhaumone deSoliers, & Tépoufa. La P^eligieufe s'accommoda parfaitement bien de la vie comique ; & tous deux y acquirent un embon- point digne que THiftoire en ait fi^it mention. Anfelmc s'attacha d'abord à Kichard-Co3ur-de-Lion, Pxoi d'Angle- terre, {ils ûc Henri II \ enfui!;e à 3k>ni- face , Marquis de Monferrat ; enfin il mourut en 1220 chez Agoult, Seigneur de Sault. Nous ne pouvons juger ce nue c'ccoit que ces Comédies & Tragédies d'An- ielmeFaidit, & celles de quelques autres Troubadours. Il nous efl: feulement per- mis de conjedurcr que ce renouvelle- n^ent du Théâtre eut peu de fuite. Tous les Poètes dont nous avons parlé ont vécu avant l'an 1^500. . Le quatorzicm.e liccle produifit bien îDoinsdePoëte? que les deuxpréccdens. Toit à caufc des calamités où toute la Fratice tomba fous les règnes de Jean Histoire profanes ; c'efl: qu'aux entrées des RoisJ dans les réjouiflances publiques , on criolt Noël. Tel étoit alors îe génie des Peuples,' Il faut des Speflacles & des divertifie- mens à quelque prix que ce foit i & la Religion elle même, toute férieufe qu'elle eft, cft obligée à en fournir , quand on n'en peut pas tirer d'ailleurs. Nos pères, peu favans dans l'antiquité, ne connoil^ foient guères que l'Hiftoire de leur Reli- gion -, & c'étoit à elle par conféquent a remplir le Théâtre. Heureufement nous avons aujourd'hui d'autres fources ou puifer des Sujets : toutes les Hiftoires anciennes nous font ouvertes; & quand nous voulons du merveilleux , nous; avons quantité de Dieux & de Déefles qui ne nous font rien , & qui ne font bons que pour la Scène. Ce n'eft pas cepen- dant que toutes nos anciennes Comé- dies Françoifes fuifent tirées de TEcri- ture ou de la Vie des Saints. Il y avoit ,' comme nous l'apprenons de THifloire rapportée par Rabelais , des Farces ÔC Momrvcrics , pour lesquelles Tappecoiie ,eût eu raifon de ne point vouloir prêtei^ )de Chappe. Il nous refte une de ces Farces , où il y a de fort plaifantes chofes. C'eft la jFarçQ Ï3U TnéATRE François. 41 Farce dePathelin,dont Pafquier a fait un extrait où plutôt un récit affbz long de afTez fidèle. Je ne lainferai pas d'en foire auflî un qui fera différent du fien , en ce que je tapporterai plus de morceaux de l'Ouvragée. Maître Pierre Pathelin , Avocat peu employé, vient d'abord avec G uiîlemette fa femme, qui lui reproche qu'il n'a m denierne maille. Pathelin lui dit que cela n*empcche pas qu'il n'aille à la Foire tout de ce pas , & qu'elle n^a qu'à lui dire de quel drap elle veut pour le nùre un habit, qu'elle en aura qui ne coûtera rien. II va donc à la Foire , & s'adrefT^ à un Drapier à qui il donne le bon jour avec beaucoup de carelFes. Enfuite il lui parle de fon père. Il m'ert: avis tout clereraent Que c'eft-il de vous proprement Qu'eftoit un bon Marchand & Saigej Vous lui reffemblés de vifaee , Par . . . comme droits peinture , Si Dieu eût oncq de créature Mercy , Dieu vray pardon luy face , A Tanie. LE DRAPIER. Amea par fa grâce , Tome III, n ^2 Histoire Et de nous quand il lui plaira, P A T H E L I N. Par ma foi, il me déclara Maintes fois , ôc bien largement Le temps qu'on voit pré .'en cernent^ Moult de fois m'en eft fouvenu j Car pour lors i' eftoit tenu Un des bons . . . Le Drapier , fur qui les difcours de Pathelin commencent à opérer, le prie de s'afTeoir. Il en fait quelque façon, & s'adied , & puis revient à la reflemblance du Drapier avec Ton père. Ainfî m'aift Dieu que des oreilles, Du nez , de la bouche , des yeux , Oncque enfans ne relTcmbla mieux A père. Quel menton fourche ! Vrayement ceîle vous tout poché. Et qui diroit à votre mère Que ne futlîcz fils de votre père , Il auroit grand foin de tancer. Enfuite il lui demande des nouvelles de la bonne Laurence fa belle-tante ^ à qui il reffemble encore de corfaige. Au mi- lieu de cet entretien , il jette par hafard les yeux fur un drap qui lui plaît. Il n'a c[ue faire de drap, dit-il ; mais celui-là DU Théâtre François. 45 îe tente; & il voit bien que de quatre- vingts écus qu'il avoit mis à part pour retralre une rente ^ il y en aura quelque vingtaine pour le Drapitr. Ils convien- nent du prix, qui eft (ïx écus d'or : on aulne, on coupe; mais Pathelin n'a pas Ton argent fur lui. Il faut que îe Mar- chand le vienne quérir, & en même temps goûter le vin de Pathelin , & manger iCuneoue que fa femme rôtit. Le Drapier s'y réfout, quoiqu'avec quelque difficul- té, & dit qu'il lui portera donc fon drap. Mais que Pathelin lui lailsât prendre cette peine, il n'y a nulle apparence. Il emporte donc le drap lui-même, & re- tourne triomphant vers Guillemstte , à qui il dit ce qu'il faut faire pour fe mo- quer du Drapier qui va venir. Je voudrois copier d'un bout à l'autre les Scènes qui fuivv-înt , tant elles me pa- roiffent comiques Se d'un jeu agréable. Cependant je vais tâcher à ne point for- / tir des bornes d'un extrait. Le Drapier vient, Guillemette lui ouvre la porte; & chaque fois qu'il veut parler , elle lui dit de parler bas. Le Drapier y manque toujours , & dit qu'il vient quérir fori , argent; & toujours Guillemette répond: Parle^ bas ; je crois que le pauvre homme don. Il y a onze femaines quil ejl mu lU Ci; '44 Histoire fans en foriir. Comment } IL cft venu ii- malin prendre du drap clizi^ mol. Et Guii- lemette répond en colère. Diable y ait part , aga quel preiidie l Ah ! Sire , que Ion le puill pendre Qui ment. 11 eft en tel paity Le pauvre homme , qu'il n'a party Du liil y a unze fcmaines ; Nous b.-iilkz-vous de vos trudaincs Maintenant ? En eft-cc r.iifon ? Vous viendrez dans ma maifon Par les angoifTes Dieu ; moi laifTe . l i LE DRAPIER. Dea vous dihés que je parlafîe Si ba5. Sainte benoifte Dame ! Vous criez : . . . G U I L L E J\I E T T E, Et à qui l'avez-vous baille', ( ce drap ) ? LE DRAPIER. A lui-mêiiic. G U I L L E I\I E T T E, Il eft bien taillé D'avoir drap. Hélas ! il ne hobe. Il n'a nul meftier d'avoir robe. Jamais robe ne vefrira Que de blanc ne ne partira Dont il eftj que les pieds devant. Aptes tous ces difcours, on entend le ■DU Théâtre Vrmjçoîs. 45 sialade qui appelle Gaillemette, & qui extravague, Voyia une Moine noir qui voîe : Prens-Ie , baille lui une eflole. Au cl:af , au chat : comment il monte ; Quand le Drapier va Fui demander fon argent , Pathelin le prend pour fon Apothicaire. Ail ! Mairtre Jean , plus dut que pierre '^ J'ay . . . deux pctircs crottes Noires, rondes comme peloîtes : Dois-je prendre un autre clirtere ? LE DRAPIER. Six aulnes de drap maintenant j Dites , cfl-ce chofe avenant , Par votre foy que je les perde ? PATHELIN. Si peuflîés éclaircir ma. . . . Maiftre Jean , elle eft fi diure. Il efi: aifé de voir quel jeu de Théâtre; il y a à cela. Enfin, le Drapier ne lait où il en efl: , & commence à douter s'il a donné le drap. Je fçais bien que je dois avoir Six aulnes tout en une pièce : ^lais cette femme me déplcce De tout point mon entendemeiiî,' II les a eiies vrayemem. 4^ Histoire Non a dea. Il ne fe peut joindre; J'ay veû la more qui le vient poindre. Au moins , eu il le contrefait. Et fi a , il les print de fait , Et les mit delToiis fon eiïelle. Par Sainte Marie la belle , Non a . . . Si a par je Sang Notre-Dame, Merchoir puift-il de corps & d'amc , Si je fçay . . . Il s'en va , & puis il revient , & trouve Pathelin dans le délire, qui parle toutes fortes de langi.esj tantôt Gafcon, tantôt Normand , tantôt Breton. Enfin , le pau- vre Drapier s'en va demandant pardon à Guiilemette , d'avoir cru que Pathelia fût venu ce matin là à la Foire. J'cbferverai , en pafTant . qu'il paroît . qu'autrefois on juroit beaucoup , & f^u- venr fans adouciffement. Les anciennes Comédies (ont pleines de juremens , ainfi qu'on en a pu voir ici quelques échantillons. Un des grands fecrets de ces Auteurs-là, pour attraper la rime, étoit de jurer par quelque Saint , de ils donnoient la préférence a celui qui ri- moit. Le Drapier retourné chez lui, trouve le Berger qui lui gardoit un troupeau de DU Théâtre François. 47 moutons , & qui avoit coutums d'en Elïbmmer quelques-uns pour les man- ger ; après quoi il difoit qu'ils étoient morts de la davelée. Il lui avoit fait donner une sflîgnation pour comparoî- tre devant le Jugfi ; & le fripon de Ber- ger vient lui dire avec une fauffe naïveté s Ne fçay quel vefîu défroyé , Qui tenoir un foiiet fans corde. Ceft-à-dire un Sergent, parce qu'eîii ce temps-là les Sergensavoientdes man- teaux bigarrés , & portoient une verg'S à la main. Aî'a dit : mais je ne me recorde Point bien au vray que ce peut eûre, II m'a parié de vous , mon Maiflre ^ Je ne fçay quelle ajournerie. Quant à moy, par Sainte Ma- le. Je n'y entens ne gras ne îrefle. II m'a brouillé de pelle meile , De brebis & de relevée. Le Drapier en colère veut le mener devant le Juge , & le Berger va aupara- vant prendre confcil de Maître Pierre Pathelin , qui , après avoir entendu le fait , lui dit de ne répondre que Béé à îoutes les intevrogations que le Juge lui i fera. '4^ Histoire Ils vont au lieu de la .Turlfdidîori ^ & là (e trouve le Drapier qui commence à parler de l'affaire qu'il a contre fon Berger. Il n'avoit point encore apperça Paîhelin: m^i^ dès qu'il le voit, il efl: étonné; il dit : Ed-ce lui? n'eft-ce pas lui ? Oui, c'eft lui qui a pris mon drap. Et le Juge dit : Sus j revenons à ces mourons r Qu'en fur-il ? L E D R A P I E R, Il en print iîx aulnes De neuf francs. L E J U G E. Sommes-nous béjaunes * Ou cornards ? ou cuydé vous cftre ? Le Drapier revient toujours à forï' drap , & le Juge qui n'y entend rien veus qu'on vienne au fait des moutons. LE DRAPIER. Voire , Monfeigneur : mais le cas me touclic. Toutefois , par ma foy , ma bouch< Mesluiy un feul mot n'en dira. Une autre fois il en ira Ainfi qu'il en pourra aller, ïl me le convient ayallçr Sans DU TiiîÉATuE François. 49 •Sans mafclier. O/ ça difoye , A mon propos , comment j'avoyc Baillé Cix aulnes ,. dois -je dire , De brebis , je vous en prie , Sire , Pardonnez-moi. Ce grand Ttlaiflre, Mon Beiger , quand il dcvoit elhe Aux cKamps , il me die que j'aurois Six ccus d'or quand je viendrois, Dy-je depuis troii ans en ça , Tvlon Berger m'enconvenença , Que loyaument me garderoic Mes brebis , & ne m'y feroi* Ne dommage , ne vilenie ; Et puis mainrcuant il me nie Et drap & argent pleinement. Ali ! Maiftre Pierre , vrayemcnt Ce ribaud-cy ra'embloit les laines De mes beites , & toutes faines Les faifoit mourir & périr , Par les alTomer Se férir De gros bailons fur la cervelie, Qaand mon diap fut fous eiïellc ,. Il fe mit au chemin grand erre , Et me dit que j'allaile querrc Six écus d'or en fa raaifon. LE JUGE. Il n'y a rime ne raifon A tout ce que vous rafardés. Qu'eft cecy ? Vous entrelardés. Tome III, E 50 Histoire Fuis d'un , puis d'autre ; fomiTic touttî Par le {.mgbieu je n'y vois goutte. Quand il veut tirer quelque éclaircif- fement du Berger, le Berger ne répond que Bée , & Pathelin ne manque pas de cire que le Berger n'ed qu'un hébété qui ne fait parler qu'à fes brebis, & qu'il nV a pas de raifon à l'avoir fait ajcurner.Ls Drapier reparle toujours de fon drap, & Pathelin répond des brebis. EnBn , ie Juge ennuyé, & les croyant tous fous, renvoie le Berger, & fe lève. Quand Pa- thelin demeuré fcul avec le Berger lui demande fon paiement, il n'en tire que ce mcme Bée qu'il lui avoit appris j ôc voilà la fin de la Pièce. A en juger par le langage , elle dait être à-peu-près du temps de Louis XII ; înais il y a des chofes qui ne paroiflent pas indignes du liècle de Molière, ni de Molière même. Une preuve qu'elle a eu un grand fucccs , c'efl: qu'elle a donné de nouveaux mots à la langue, çc tait des Proverbes. Paihelin 3, qui n'étoit qu'un nom fait à plaihr comme Tartufle , efl devenu un mot de la langue qui fignino Hattezir èc trompeur^ de la mcme manière que Tarcuffe fîgnilie préfentement un faux Dévot. Mcme F'athclin a une famille queTartufl^e n'a pas. Il a produit Patc- DU Théâtre François, ji îiner & Patclinage. Revenons à nos mou- tons , qui eO: un Proverbe (i uiîté , vient encore de la même fource. CeO; ce que dit le Juge au Drapier qui oublie fes nKjutons pour parler de Ton drap. Le plus grand honneur qui puiffe arrivera une Comédie , c'efl: de faire des Prover- bes. Il y a tout lieu de croire qi;.'i! s*ea iorme préfentement plufieurs , tire's cic Comédies de Molière; mais !e temps n'y a pas encore mis la dernière main. Jurqu'ici laTragédie, 8:, pourmienx dire , toute la' conftitution du Théâtre dans la Comédie même , avoit été entiè- rement inconnue. Enfin , fous le règne de François F', les Grecs & les Latins Sortirent, pour ainfî dire, de leurs tom- beaux, & revinrent nous donner des le- çons. L'ignorance commença à fe diili- per, le goût des Belles -Lettres fe ré- pandit , la face des chofes d'efprit fe re- nouvella, tous les Arts, toutes les Scien- ces fe ranimèrent. On trouve fous Fran- çois F'^ Antoine Foreilier jParifien, qui a écrit des Comédies Françoifes , & Jac- ques Bourgeois Auteur de la Comédie des Amours d'Eroftrate , imprimée en 1 545", & dédiée au Roi. Apparemment toutes' ces Pièces font perdues. Les Amours d'Eroftrate, à en juger par le ja Histoire tlire , pouvoient être un Ouvrage fe- rieux ; cependant , iclon le compte de Konfard , la Tragédie , un peu plus lente que les autres Mufes , peut-être parce qu'elle cil: plus importante, ne reATufcita que (ous le règne de Henri II. Alors Jodclle heHieiifemenc fonna , Dune voix humble & J'une voix hardie , La Coméiiia avec la Tragédie , Ec d'un ton double, ore bas, orc haut, Remplit premier le François efchatFa'jt j Dit ce fameux Pccte. Il ne compte pour rien les Com.cdies faites avant Jodeile , apparemment parce qu'elles çtoient fans iàrt, 6v" fans aucune imitation des Anciens. Cependant, à ce que dit Pafquier.7oc/^//i; navoit pas w'is l'czilaux bons Livres ; mais fu 'ni y avo'u un naturel cjhcrvc'illable. Et ceux qui de ce temps-là jugeaient des coups ^ Jijuicnt que Ronfard ètoit le premier dos Poêles , jnais que JodelU en était le démon. S'il n'étoit pas favant, Ton fîcclc Te'toit; & les ignorons mcmç d'un liècie favant je Tentent un peu de la (cicnce de leur liccle. Il part des gens habiles, pourvu qu'ils foicnt en affez grand nombre , une cbrtaine lumière qui éclaire tout ce qui cft autour d'eux , & dont on apperçoic quelques rayons réHéchis fur tous les DU TtiÉATRE FraKçois. rj autres. Le bon goût qu'ils prennent par choix , s'établit chez les autres par mo- de , & les vrais principes patient de ceux qui les ont découverts, à ceux qui ne peuvent tout au plus que les entendre. La première de toutes les Tragédies Françoifes, eft laCléopnre de Jodelie. Elle eft ci'une (implicite Brt convenable à (on ancienneté. Point d'aclion , point de jeu, grands & mauvais difcours par- tout. Il y a toujours fur le Théâtre un Chœur à Tantique , qui finit tous les Ac- tes, & s'acquitte bien du devoir d'être moral & embrouillé : mais pour donner une idée plus jufte de cette Pièce , en voici un plan , Scène par Scène , ailez. exaél & allez court. Il y a un Prologus adrefle à llenri II. Aéle V\ Scène [^\L'om.bre d'Antoine plaint fes malheurs , & annonce que Cléopatre mourra bientôt. Scène IL Cléopatredlt à Iras 6: à Charmion , (es Confidentes , qu'elle a vu Antoine en fonge.. Elle ne doute pas qu'Odavien ne la deftine au triomphe , & elle veut abfolument éviter ce déshonneur. En- fuite le Chœur a un beau fujet de mora- lifer fijr l'inconftancede la fortune. Aéte IL Octavien 5 Agrippe, Procu- lée, Longue Kiftoire & peu néceiïaire E iij 54 Histoire de toutes les guerres pafiées. RéfoIiUïon de iaire vivre Cîeopatre pour la mener à B.OÎT1C , 6s: puis le Chœur mord. Acteîll. Odavienj Cléopatre, Seîeu- CjUB. Lamentation de Cléopatre à Octa- vien , qui répond à toutes Tes mauvnifes excules. Ennn Cléopatre, pour niieux le toucher, lai livre Ton tréfor. Selcu- Q'c^Q , fujet de la Reine, dit qu'elie ne livre pas tout. Sur cela elle lui (auteaux cheveux devant Céfr.r , les lui arrache, ik lui donne cent coups de pied. C L É O P A T R II . A (i\:x rneiirdrier ! à faux traiike i arraché Sera le poil de ta tefre craelîe. Que pluft aux Dieux que le fuft ta ca'velle t Tien , traiftre, tien. S E L E U Q U E. O Dieux : CLÉOPATRE. Cas dcteftable 1 Un ferf : imferf 1 O C T A V I E N. Mais chofe émervci!!abîc D'un cœur terrible i CLÉOPATRE. Et quoy m\iccufes-tii î Me croyois-tu veuve de lua vcitu , DU Théâtre François, yf Coaime d'Antoine? A!i nailbe I S E L E U Q U E. Rcacns la, PuilTint Cc-far , retiens-la doncq. CLÉOPATRE. V'oylà Tous mes bieiifaits.Hon 1 le deuil qui m'eftvoicf^ Donne à mon cœur langoureux telle force , Que je pourrois , ce me fcmble , frciiTer Du poingi tes os, & tes flancs cievafTcr A coup de pic.l. o c T A y I E :r. O quel grinfant con'raf^e ! iMuîs rien n'cft plus Furieux que la rage D'un cœur -de fcma-.c , &c. J'ai cru qu'on ne feroit pas ff^clié ds voir par cet échanriîion , de quelle no- blefl'i étoit alors la Tragédie. Ade IV. Cléoparre, Iras, Charmion. Réfolution de ces trois femmes de mourir enfemble. Ade V. Proculée, le Chœur. Proculcc conte au Chcsur la mort de Cléopatre. Cette prétendue Tragédie fut jouéa à Paris devant Henri I I à l'Hôte! de Rheims , & enfuite au Collège de Bon- cours , c^ont foires U-i f:n êtres ctoleni. ta- pigées (Tune InfinïU di pîrfonnages ahon^ mur ^ à ce que rapporte Paf ]uier , qui E iv ^6 Histoire vit luimcme cette repréfentation , Se Ce trouva dans !a même chambre que le grand Adrlanus Turnchus. Il remarque que Us entri- parleurs cwient tons hommes cic ncjn , & que P^cmj BclUait & Jean de la PeniJ'e Jonenni les principaux rchts , tant étoit lors en rèpiHatlon JoddU envers eux, ïci je prie que l'on ne fonge point aux Poètes d'aujourd'hui ; car li l'on va pen- fer à eux , j'avoue que l'on ne croira ja- mais que d'aOez bons Auteurs, tels que Belicau & la Férule , aient bien voulu iervir à repréfenter l'Ouvrage d'un au- tre, &: le faire valoir aux veux du Roi & de tout Paris. Quelle fable par rap- port à noo mœurs ! Si îa Tragédie étoit a;ors bien iimpic , les Poètes l'étoient bien auffi. A l'cccafion de la Clcopatre de Jo- dellc , il arriva une chofe trcs-finguliè- re. Cette Pièce eut un applaudilleraent prodigieux; .'y' ces Poètes grofliers , qui louoient les Ouvrages û'autrui, voulu- rent féliciter Jodelie avec éclat ci avec cérémonie : 6*: voici la relation de ce qu'ils firent, tirée de Jean -Antoine de Eait", quil'adrcfibitau Seigneur de Sade, Sieur de Maan. Quand Jodclle bouillant en la fleur de fon âge , Donnoit un grand erpoir d'un couc divin coui;ige, DU Théâtre François, yy Après avoir fiit voir m;uchan!: fur l'échaffaut , La Royne Cléoparre enfler un rtile haut j Nous jeunefTe d'alors dcfîraiu faire croiftre Cet efprit que voyions fi gaillard apparoiltre , O Sade ! en imitant les vieux Grecs qui dcnno'ent AiixTragiquesun bouc dont ils lesguerdonnoieur. Nous cherchafmes un bouc ; Se fans encouiir vice, D'Jdoîaftres damnés , fans faire facrificc , Ainfi que des pervers , fcandaleux , envieux: , Ont mis fus contre nous pour nous rendre opieux , Nous menafmes le bouc à la barbe dorée , Le bouc aux cors dorés , la befte enlierrée , En fallc où le Poète auflî enlierré , Portant fon jeune front de lierre entouré, Attendoit la brigade j & lui menant la befte , Pefle raefle courans en folcmnelie felle , Moy récirant ces Vers , lui en fifmes préfent , &c. Voilà peut-être le plus bizarre dePiia de Fctes que des Poëtes même aient pu imaginer. Vous voyez par la petite apo- logie que Baïf glltle dans fa narration , que l'on prétendit alors que le boucavoit été facrifié à la manière des Payens , de ce bruit-là couroit encore du temps de Théophile; car dans une Requête qu'il adrefle au Roi Louis XIII pour fe juili- fier de tous les défordres qu'on lui im- putoit , il dit enfin qu'il eO: Pocte , & qu'en cette qualité il faut lui pafler quel- que chofe. 5'8 Histoire Autrefois on a paràonné Ce Carnaval *lefordoiiné De quelques-uns de nos Poètes, Qui fe trouvèrent convaincus D'avoir facrihé des beftes Devar.t l'Idole de Barchiis. L'adion auroit été fi énorme , qu'à peine eft-eile croyable ; cependant je ne voudrois pas trop répondre de ceux qui ont mené le houe ejilicrrc au Pocu auffî tnlurrc. La nouveauté du Grec , les beautés que l'on y avoit découvertes, & plus que tout cela la gloire dj l'en- tendre 5 avoient tellement enivré tous les Savans , qu'ils étoient devenus tous Grecs. Ils taifoient fsjmblant de parler François dans leurs Ouvrages ; mais eiFedivement ils parloient Grec: on or- noit , on égayoit la Poëfie de tout ce qu'il y avoit de plus fauvage ^ de plus ténébreux dans les Fables de l'Antiquité. 11 y a un endroit dans Ronfard qui eft allez remarquable. Il regrette la mort d'un Jeune homme de mérite; & après avoir quelque temps parlé François à re- gret, enfin il ne peut plus fe contenir; il lâche le Grec tout pur , £v s'écrie en un V^ers : Ocymote, dyfp^tme, Oligrochronkn. DU Théâtre François, fp C'eft-à dire , qui a eu une dejîinée courte^ prowpie , maikcurcufe , & qui a peu vécu. Ce tranfport , cet enthoufiafme eft tout-à-fait plairant. Il paroît par beau- coup d'exemples que le Grec a une vertu particulière d'entêter. La pompe du bouc de Jodelle fut sc- compagnée de Vers ; & en cette occa- f]on , où toute la Fête regardoit Bacchus le Dieu du Théâtre . pouvoit - on faire d'autres fortes de Vers que des dithy- rambes ? Il n'y avoit pas d'apparence ; cela auroit été contre toutes les règles. JL.a plupart des Poètes du temps firent donc des dithyrambes. Je rapporterai quelques morceaux de celui de Baif, parce qu'il eft aflez curieux, 6-: tout-à- fait à la Grecque. Au Diej Bacchus facrons cette Fcfle, Eachiquc brigade , Qj'en gave gambade Le liere on fecouc , Qui nous ceint la tefle. Qu'on Joue , Qu'on trépigne , «Qu'on fafTe maint tour Alentour Du bouc qui nous guigne , Se voyant environné , De nofcre eflain couronné 6o H r s T o I pv E Du liere ami tics vincufcs cirolles ,' Yach , evoc , iach , ï.i , ha , &c. Cet Yack, evoë , iach . . . eft le refrain de tous les Couplets. C'c(\ ce dons Dieu qui nous pouiïe , Efpiirs lie fa fureiir Jouce , A rcfTufciter le joyeux myftere De fes gayes Orgies , Par l'ignorance abolies . . . O Père Evien 1 Eacche dithyrambe , Qui retiré de la foufïreufè fiainbe , Dedans l'Antre Nyfien , Aux Ny/îdes tes nourrices, Par ton deux fois père , Meurdrier de ta inere , Fut baillé jadis à nourrir . . . Dieu brife foucy ! O Niftclien: O Semelien ! Démon aimedance . . . Quel jargon ! Et à quel point l'amour du Grec peut faire extravaguer les Au- teurs ! Cependant il faut rendre juPrice à Baïf: ce jargon , ces mots forgés , ce galimathias ; tout cela , félon lidée des Anciens , efl: fort dithyrambique , & c'eft: dommage que cette Pièce loit en François. DU Théâtre Fkânçois. 6i On aura fans cloute remarqué Usgayes Orgies par C ignorance ntclies. Baïr y avoit donc regret ? EH: - il difficile de donner une bonne interprétation à cette igno- ranci qui a aboli Us gay:s Orgies ? Je " crains bien que le bouc n'ait été facrifié, A ce compte il Te fit en aflez peu de temps un étrange changement. On étoit Chrétien juiqu'à mettre mal à-propos la Religion de toutee les parties; & voici qu'il :e répand tout-à-coup un efprit qui femble devoir renouveller le F'aganifme. D'un côtéj les Comédiens de la Pailion; de Tautre, le bouc d: les dithyran/ocs : cela ne fe refiemble gucres ; cependant il y a peu d'années et^tre deux, Jodelle a fait encore Didon , Tragédie. Mêine conRitution que Cléopatre, 6c peut-être encore plus fimple. Difcours immenies , nulle aclion. II a fait aufii deux Comédies , Eugène & la Rencon- tre. Je vais donner le plan d'Eugène , afin que l'on ait une. idée de la Comédie de ce temps là , & principalement des maurs que l'on mettoit fur le Théâtre. Eugène efi: un Abbé heureux & con- tent, qui a marié à un fot, nomme Guil- laume , une certaine Alix qu'il â fait pafler peur fa coufine. Alix avoit appar- tenu au paravant à Fioriniond, homme 6i Mis t o i n F. de guerre, qui l'avoit prlfe pour fe con- foler des rigueurs d'Hélcne , fccur de l'Abbé; 6c l'Abbé ne favoit rien de c<5 qui s'éîoit pafié entre Florimond & Alix. Le petit ménage d'Alix &: de Guillau- me 5 ou plutôt celui d'Aiix de de l'Abbé, étoit fort tranquille, îorfque Florimond revient de la guerre. Il trouve qu'on lui a enlevé Alix, qu'Eugène l'a mariée à 'Guillaume II jette" feu v\: flamme, donne cent coups à Alix , fait emporter de chez elle tous les meubles qu'il lui avoit donnés , & protefle bien que M. l'Abbé verra à qui il a affaire. Matthieu , un ■ créancier de Guillaume , fâchant que Ton enlève les mcubiesde chez lui , vient demander qu'on le paye; nouveau (ur- croît de mal. Enfin Eugène , fort effrayé des menaces du Capinainc , ima^rine avec îvkfiire Jean, fon Chapelain fc (on Confident , un moyen de remiédier à tout. C'eftqu'He'cne fa fœur , qui a été aimée de Florimond, ... Le rCi^oivc en fa qracc, F.n jouifLmt cHc le fafTc. Son honneur ne fera foule- , Quand l'aifairc fera cc!c , Fntre quatre ou cinq feulemcnr; Et quauvl fon lionncur aiefiiicmciu DU Théâtre François. 6^ Pourroit recevoir quelque cache , Ne fau: il pas qu'elle m'arracae De ce naufrage auquel je fuis ? . . . La chûfe proporée à Hélène , elle y co nient. Et quanJ malheur m'en a/iendra, ( cVf c/^ ) E: que tout le monde entendra, Que pir deux hommes , voire deux Que chacun eftime de ceux Qui font dc:ja fiints en la terre , Contre ma renommée j'erre ; On me tiendra pour excufée , Comme ayant été abufëe, Ainfi que femme y efl fujette ; Et puis l'on dira , la pauvrette N'ofoi: pas fon Trere efconduirc . . . Aulîî-bien , reprend-elle enfuite. Si Floiimond ne m'eût laifiee. Et qu'il n'eût Alix pourchafTee , La Gourfe du temps eût ga^né , Sur ce mien cojrige indigné. Eugène & Meiïire Jean lui dlfent que peut-être Floriniond l'cpoufera , qu'ils tâcheront de l'y amener ; & elle leur répond : Mais à quoy fervent tant de coups. Pour gagner ce qtii efr à vousi 6^ Histoire Faut-il que gavenieiK je vous die? Je fuis en mefuie maladie; ]ï n'y a lîen qui plus me pUife, Oie je me fens à mon aife. EUGENE. O Amour i qua tu m'as aidé I Aveugle , tu m'as bien guidé. D'aife extretVnc mon cœur trefaut. MESSIRE JEAN. Parbieu , j'en vois faire ce fiuc. Refie à Eugène à fatisfairc Matthieu, créancier de Guillaume. Il lui vend uns Cure pour un deies entans, & une partie du prix eft la dette de Guillaume. Pen- dant que Matthieu va quérir le relie di i'argent, Eugène dit à Guillaume : Te voilà quitte ; Fîorimond te rapportera tes meubles , & ne te fera plus de bruit : tu me dois tout cela. Il faut maintenant qu'entre nous Tout mon penfer je te décelé : J'aime ta femme , 3c avec elle Je me couche le plus fouvent. Or je veux que dorefnavant J'v puillè fans fo'.:cv coucher. G U I L L A U M E. Je ne vols y \\;ux cmpefchcr : Monlîeur , je ne fuis point jalou.v, Er principalement de vous : Je DU Théâtre Feakçois. 6$ Je meure fi jV nuis en rien. E \}' G E N E. Va, va, tu es homme de bien. Après cela i!s font tous contens : &: s'en vont chez l'Abbé , où Te font les noces d'Héîens , fans autre cérémonie qu'un fouper que Ton frère donne àîouta Ja compagnie. Voilà afiurément d'étranges mœurs. Il ne paroît pas cependant que perfonne en ait été Icandalifé. Le fiècle d'Henri 11 n'étoit pas délicat fur cette matière; il faifoit profilTion de tout le libertinac^e que d'autres fiècles dilTimulent , ^' joi- gnoit DU mépris de la vertu celui des bienféancef. Il efu feulement étonnant que les Eccléfiaftiques n'aient pas crié. Comment s'accommodoient - ils de la peinture qu'on faifoit d'eux dans Eugè- ne ? Il talloit qu'ils fulTent bien appliqués à jouir , lorfqu'ils méprifoient les bruits jufqu'à ce point- là. Il me femble qu'Eugène vaut beau- coup mieux en fon efpèce que Cléopa- tre & Didon. Il y a beaucoup plus d'ac- tion & de mouvemcxit; le Dialogue en efl mieux entendu , il s'y tr/)uve des» chofes très-plaifantes & très-naturelles. Pourquoi Jodelle a-t-il mieux réuflî Tome. III, F 66 Histoire dans le Comique que dans le Tragique ? Ceîapourroit venir de ce qa'i! e[i le pre- mier qui ait fait des Tragédies , de noQ pas le premier qui ait fait des Comédies. II efl; de l'ordre que les commencemens en toute matière ioient foibles de impar- faits. Déplus, le talent d'iaiiter , qui nous eft naturel, nous porte plutôt à la Co- médie qui roule fur des chofes de notre connoiflance, qu'à la Tragédie qui prend des fujets plus éloignés de l'ufage com- mun: & en effet, en Grèce aulli -bitrn qu'yen France, la CoiTréciieePt l'ainée de la Tragédie. Peut-être n'eft-il pas extrê- mement difficile d'attraper quelques Scè- nes comiques ailez plaifantts ; mille pe- tits événemens de la vie en font naître tous les jours devant nos yeux , qui peuvent nous fervir de modèle; & il eft certain qu'ils ne font pas naître (i aifé- ment des Scènes propres à la Tra- gédie. Eilienne Jodelle n'a fait de Pièces de Théâtre que les quatre dont nous avons parlé. On a de lui beaucoup d'autres fortes de Poches; & dans quelques-unes il a eu l'audace de jouter avec Koniard , en traitant les mêmes Sujets. Un jour Pafquier difoit à Jodelle (carainli vou- îoit-il être chatouillé), queji un Ronjard DU Thfatre Françoi?. <<7 avoit le dijus cTun Joddlz Iz matin , Câpres- dîné Joddle remporterch fur Ronjard. Ce- pendant le même Pafquier , dans un temps où i! n'étoit plus quedion de cha- touiller Jodelle, parce qu'il étoit mort, a dit fur lui : Je me doute qu'il nt demeu- rera que la mîmo'ire de [on nom en talf comme de fes Pocjics. II paroît afTez pa.^ l'événement, que Pafquier avoit le goût bon , & prophétifoit bien. Jean-Antoine de Baïf fit aufli une Co- médie app'A'éf^ Iz Brave ^ ou Tiùllz-bras ^ qui n'eil autre cKofe que le Mi/es coloria- Jus de Plaute. Elle fut Jouée à l'Hôtel- de-Guife l'an ijôy en préfcncedc Char- les IX & de Catherine de iMédicis. Il y avoiî entre les Attesdcs chants , dont il n'y a que le premier qui s'adrefleaa Roi, &c qui foit à (a louange; le fécond efl pour la Reine-Mère; le troifième poui: P.lonfieur , qui fut depuis Hjnri II; le quatrième pour M. le Duc, c'efb-à-dire îe Duc d'Alençon ; & le cinquième pour Madame , c'cft-à-dire Marguerite de Va- lois, qui époLîfa Henri IV. Jean de la Perufc travailla aufîi pour le Théâtre. Il fit Médce , qui , au fer.ti- rnentjle Palquier , n était point trop dé- co ufue , & toutes fois par malheur, die ne- fut accompagnée de la faveur quelle méri- F ij 68 Histoire toit. Ce feroit une recherclie également pénible & inutile de déterrer d'autres Auteurs plus obfcurs; mais il yen a deux que je ne puis m'en^pccher de nommer pour la fingularité des fujets qu'ils ont traités. Henri de Baran fit um Comédie du Pécheur Jujîi fie par la Foi, imprimée en ij6i ; & François de Chantelouve , Chevalier de l'Ordre de S. Jean de Jéru- falem , imprima à Paiis en i jyy la Jm- gédic de feu Qafpard de Coligny , jadis Amiral de France^ contenant ce qui advint le là!^ jour d'Août I 5^72 , avec les noms diS Perjbnnages. Ces deux Pièces paroiOent être de deux bons Calviniftes ; & il fal- loir un g-^and zèîe pour accommoder au Théâtre la S. Earihekmi, &:, qui pis e!l:, la prétendue juflincation du Pécheur par la Foi. SousHenriîIÎ, parutRobert Garnier, Manceau , Lieutenant-Général Criminel au Siège Fréfidial & Sénéchaufiee du Maine, & enfuite Confeiller au Grand- Confeil, Dès fa féconde Pièce, il difputa le pas à Jodelîe, père de laTragédie Fran- çoife; & Ronfard, qui par fa grande ré- putaMon fe trouvait en étatdediflribuer la gloire aux autres Auteurs , fe fit Juge de ce différend , & prononça par ce Sonnet: DU Théâtre Fbançois. 6$? Le vieil Cothuine d'Euripide Eli: en procès concie Ganiier ; Et Jodelle , qui le premier Se vante d'être le guide, Jl faut que le procès on vuiJe, Et qu'on adjuge h liiurier A qui mieux d'un dode gofîer A beu de l'onde Aganippide. S'il faut efpelucher de près Le vieil artifice des Grecs , Les vertus d'un œuvre , & les vices , Le fujet & le parler haut , Et les mots bien choiiîs , il faut Que Garnier paye les efpices. En ce temps-ci , on pourroit croire par les termes de cet Arrêt, que Garnier a perdu : c'eft taut le contraire -, celui qui gagnoit fon procès payoit les e'plces , c'eft-à-dire , dans la langue de ce temps- là, des confitures & des dragées ; léger préfent , que fa médiocrité faifoit ac- cepter par les Juges , & qui n'étoit qu'un effet volontaire do la joie d'un Plaideur qui avoit gagné. Mais l'avantage queRonfârd donne à Garnier n'eft rien, Garnier l'emporte fur Jodelle : & qu'eft-ce que Jodelle en com- paraifon d'Efcliyle j de Sophocle ôc d'Eu- 70 Histoire ripide , fur lefque'.s !e même Garnier l'emporte au jugemi;nt de quelques au- tres beaux - Efprits ? Ils n'entendoient donc pas le Grec, diront autîî tôt nos Savans. Ils ne rentendoient pas. Qu'on en iu;;e par leurs noms ; Jean Daurai de Kobert Etienne. Queîs noms en fait de Grec ! Robert Etienne fur -tout. Voici comme il parle dans un Sonnet qui n'eft qu'une traducftion d'un petit Ouvrage latin de Daurat. La Grèce eut trois Auteurs de la Mufe tragique , Fiance plj; que ces trois eilime un feu! Garnier j Efciîvls entre les Grecs commença le premier A fe faire admirer par Ton langage antiqL:e. Sophocle vint apvts plus plein d'art pol'tiqi!e, Ni trop vieil , ni trop jeune au tragique meftier j Euripide à ces deux fuccédant le dernier , Remplit de fon renom toute la Scène Atcique. C'eft l'.ii dont les Ecries font fi comblés de miel , Qu'il femble , en les lifant , que les filles du Ciel Avent verfc leurs dons fur ia lèvre fuccrée. Mais Garnier , l'orne.iient du Théâtre François , Bien qu'il vienne aprcs eux , les fjrpafTe tous trois» Et feul mérite avoir la branche aux trois facrée. Il eft vrai que ces fortes d'cîoges étoient faits par l^s amis de l'Auteur , 8: dedinés à orner le frontifpice de fes Ouvrages ; DU Théâtre Fkançois. 71 mais quelle amitié arracheroit aujour- d'hui de ceux qui fe croyent habiles en Grec , un éloge qui intérefsât les Grecs , un éloge où il entrât des blafphe.T/es ? Cependant , il faut dire la vérité ; ce Garnier, que (es amis mettoient au-def- fusd'Efchyle, de Sophocle 3^ d'Euripide, étoit très -imparfait. Il avoit , copr.me Ronfard l'a fort bien décidé, plus de no- bleflfe, d'élévation , de force que Jodeîîe; mais la conftitution de fes Pièces n'eft pas meilleure. Elles font toutes auffi dé- nuées d'aâiion , auili languiffantes, auffi fimples , de conduites avec auffi peu d'art. Il n'en a fait que huit. Porcie, Cornélie, Marc-Antoine, Hippolyte, laTroade, Antîgone, les Juives, Bradamante. LaTragédiedes Juivesefl unede celles que j'aimerois le mieux. Elle a aifez de chofes nobles, & quelquefois même tou- chantes. Il eft vrai que dans cet Ouvrage Garnier a été fort aidé par l'Ecriture- Sainte , dont il a emprunté la plupart de fes idées , & dont il a mis des morceaux en œuvre affiez heureufement. Ce n'eft pas que Garnier eut beaucoup d art, mais c'ed que l'Ecriture- Sainte a naturelle- ment un fublime qui fait toujours urr grand effet. J'ai remarqué qu'il dit à la fin de fa Préface de Bradamante : Parce 72. Histoire qu'Un y il point di Chœurs comme aux Tra- gédies précédentes pour la dijUnclion des Acies , celui qui voudrait faire repréjenter cette Bradamante fera^ s^il lui plaît , averti cTufer d'entre - mêis , & les interpofer entre les Acies^ pour ne les confondre, £y ne mettre en continuation de propos ce qui requiert quelque dijlance du temps, il falîolt que l'on crut alors les Chœurs bien indifpen- fabîes, & que l'on fût bien éloigné de s'aviier de l'expédient des violons, A Garnier fuccéda Alexandre Hardy, Pariiien j l'Auteur le plus fécond qui ait jamais travaillé en France pour le Théâ- tre. Je dis en France, car il n'a fait que fjx cents Pièces, & les Efpagnolsle ter- rafferoient par les deux raille de Lopez deVega. Dès qu'on lit Hardy, fa fécon- dité cefle d'é re merveilleufe. Les Vers ne lui ont pas beaucoup coûté , ni la dirpoîition de (es Pièces non plus. Tous fujets lui font bons. La mort d'Achille & celle a'une Bourgeoife que (on mari furprend en flagrant délit , tout cela eft également Tragédie chez Hardy. Nul fcrupulc fur les mœurs ni fur les bien- féances. Tantôt on trouve une Courti- lanne au lit , qui par fer. difcours foutient afltz bien Ton caraiflcre.TantôtrHéroïns de lu Pièce eft violée. Tantôt une femme mariée DU Théâtre François. 75 mariée donne des rendez-vous à Ion ga- lant. Les premières careiTes ie font fur le Théâtre, & de ce qui fe pafl'e entre les deux Amans, on n'en fait prrdre aux Speélateurs que le moins qu'il fe peut. Je ne puis m'empêcher de rapporter ici pour fa fingularité la fin d'Elmira, Tragi - Comédie. Le fujet eft tiré des Méditations hiftoriques de Camerarius, & efl: afl'urément faux. Pendant les Croi- fades, le Comte de Gleichen , Seignsuc Allemand, prifonnier de guerre du Sul- tan d'Egypte, efl: délivré par Elmire, lille du Sultan , à condition qu'il l'épou- fera. Il étoit déjà marié, de avoit laiiTé fa femme en Allemagne : mais dès qu'il efl: libre , il va à Rome , oii il obtient difpenfe du Pape pour époufer encore Elmire. Sans doute cette Hifl:oire a été imaginée par les Luthériens, pour fer- vir. de réponfe aux deux femmes du. Landgrave de Heiïe : mais il n'importe, Hardy a trouvé ce fujct autant véritable que mémorable ; & le beau , c'efl: la fin. Comme on prévoit l'embarras que vont caufer deux femmes à leur mari , le Comte de Gleichen dit qu'outre la dif- penfe, il a une féconde Bulle du Pape qui règle tout. Voici les termes dont il fe fer t. Tome IIU G 74 Histoire I^'Eglife qui leur a mes faveurs dcpartics ,' Donne un dernier Arrêt entre les deux Parties | Et la difcrétion , remarquable au difcours , ]\Iet ce procès vuidé au nombre des plus courts,' Chacune également pofledcra mon ame j Et pour ce qui regarde une amoureufe flamme j Leur ordre alrernatit règle ce diftcrend j Sentence que mon cœur définitive rend. Les deux époufes fe fou mettent avec joie à cet Arrct , fur-tout l'ancienne , qui n'en e(péroit pas tant ; St c'eft-ià le dé- nouement de la Pièce, dont apurement îenceudétoit aulîi embarrallant que l'on en ait vu. Les perfonnages de Hardy fe baifent volontiers fur leThéàtre ; & pourvu que deux Amans ne (oient point brouillés , vous le voyez fauter au col l'un de l'autre, A la fin du Triomphe d'amour , Cé- phée ik Clytied'un côté, Athys&TEglne de l'autre étant d'accord , Céphée dit 4 Clytie : Or fus , premiers recevons le falaire ; Premiers en maux primons-les d'un baifer , Auquel ne peut plus aucun s'oppofer. A quoi Clytie répond avec la meil- leure volonce du monde : Non d'un baifer , mon ame, mais de mille,' Oui l'un fur l'iiuiie arrivent à la lile. T)U Théâtre François. 75^ O doux baifers, & toy plus douce nuit, Que ta clarcé , ja Qesjà ne nous luit I Athys & yEgine en font autant de leuf côté, jufqu'à ce qu'enfin un vieux Ber-* ger leur dit à tous : Pour un moment modérez cette braifc , Vous bcifcrez chez moi phis à votre aifc. Dans une autre Pièce , où deux Amans, après s'être long -temps cher- chés, fe trouvent en préfenca d'un Her- mite, & fe baient autant que les règles du Théâtre le demandoient en ce temps- là, n'efr-il pas plaiLint de faire "dire au bon Hermitc : Pafmé d'affection , Tun & l'autre Cq rend Joye qui , dans mon anie , ex'ceffive s'épand , Prcfque jufqu'à plorer. O Seigneur! que ta grâce Opère raerveiîleufe en cette terre bafîe I Au milieu de ces amours , qui fe trai- tent fi librement , il y a lieu d'être étonné de voir que les Amans de Hardy appel- lent très-fouvent leurs Maîtrefles , ma Sainte. Ils (e fervent de cette exprellîon , comme ils feroient de nion ame , ma vie, Ccû. une de leurs plus agréables mi- gnardifes. Vouloient-ils marquer par-là une efpèce de culte ? il n'y a que les idées du culte Payen qui foient galantes, '7^ Histoire Le vrai eft trop férieux. On peut ap- peller fa Mairrelfc , ma Déejje , paice qu'il n'y a point de Déede ; & on ne peut l'appeller ma Sainu , parce qu'il y a ûQS Saintes. h^s bienléances étant auffi méprifées dans les Ouvrages de Hardy qu'on vient de vcir qu'elles le font, on peut juger que le refte ne va pas trop bien. Sus Pièces ne font pas de cette ennuyeufe & infupportable (implicite de la plupart de celles qui avoient été faites avant lui; mais elles n'en ont pas pour cela plus d'art. Il y a plus de mouvement, parce que les luiets en fourniilent davantage ; mais ordinairement le Poçte n'y met pas plus du fien. Les Chœurs commençoient à fe paf- fer. Il y a plufîeurs Tragédies de Hardy qui n'en ont point. Celles qui en ont ne. les ont pas régulièrement placés à la fin des Attes; ils entrent oii ils peuvent , Ôc deviennent fouvent des perfonnages de 3a Pièce. Dans Coriolan il y a une Scène du Sénat & du Peuple Romain , qui font cliacun un Chœur ; & dans cet endroit il n'y.a nulle apparence qu'ils chantent. Je ne fais]: as trop bien comment cela s'exé- cutoit , à moins que Ton n'eut recours gu Coriphée des Anciens. DU Théâtre François. y-J Hardy fuivoit une troupe errante ce Comédiens au'iî louvnifl'oit de Pièces. Quand il leur en falloit une nouvelle, elle étoit prcte au bout de huit jours , & le fertile Hardy fuffiioit à tous les be* foins de fon Tlieâtre. Si quelqu'un s'é- tonne de cette nbondance & de cette facilité, je le renvoie à un Auteur Dra- matique, nommé Magnon , qui dans la Préface de Jeanne de Napîes , Tragédie ce fa façon imprimée en 16^6 , dit qus ces Pièces lui coûtent prefque moins de peine à les faire , que ton nen prendra à les lire ' Cr pour te h faire voir , dit-il au Leéteiir , je veux bien t'' avertir^ dans un temps où Cott croit être épuife dans la façon d'un Sonnet , que je projette un travail de deux cents milU Vers & d'autant de proj^e à proportion . . , Mon entre pri/è ejl de te produire en dix Volumes^ chacun de vingt mille Vers , unô fcience univer Celle , m.ds fi bien conçue 6' fi bien expliquée^ que les Bibliothèques ne te ferviront plus que d'im ornement inutile. Hardy com.mençoit à être vieux , & bientôt fa mort auroit fait une grande brèche au Théâtre , îorfqu'un petit évé- nement arrivé dans une maifon bour- gcoifed'une Ville de Province, lui donna un iîluftre fuccefTeur. Un jeune homme mène un de fts amis chez une filie dont G iij 7^ Histoire il c'îolt amoureux ; le nouveau venu s'é- tablit chez la Demoireiie fur les ruines de Ton introduéleur : le plaidr que lui fait cette aventure le rend Pocte j il en fait une Comédie ; èc voilà le grand Cor- neille. Cependant de tous ceux qui ont tra- vaillé après Hardy , M, Corneille n'eft pas à la rigueur le plus ancien. Mairet , dans fa Préface du Duc d'Ofibne impri- n-ée en 36 , dit : Tai. commencé de fi bonne heure à f^ire parler de moi , qu'à ma vingt Jixicme' année ^ je mt trouve le plus ancien de tous nos Polies Dramatiques, Je compofai ma Chrifàdc <2 1 6 ans , au fortir de tua Philofophie ; Sylvie ^ à ij ... Si mcS premiers Ouvrages ne furent gucres bons , ait moins on m peut nier qu'ils n aient été V heure ujefernence de beaucoup d'autrei meil- leurs , produits par les fécondes plumes de MM. de Rotrou , Scud,ery^ Corneille & du Ryer , que Je nomme ici fuivant l'ordre du temps qu'ils ons commencé d'écrire après tu ai. La chronologie des Pièces deThéâtra cft aflcz difficile à établir , parce qu'en ces temps-là on ne les imprimoit que plufieurs années après qu'on les avoit jouccs; & d'iiilleurs on n'cft jamais bien sur d'avoir la première édition. Après DU Théa^tre François. 7^ Cela , débrouille qui voudra la chronolo- gie des Rois Adyriens , ou les Dynafties d'Egypte. Il n'y a tout au plus qu'une ou deux Pièces de Mairet ou deRotrou, qui aient pu précéder la première de M. Gorneillej èc ces Pièces-là étoient dans le goût d^ Hardy, qui régnoit alors fur le Théâtre. On en peut jugerpar la Sylvie, féconde Pièce de Mairet , fameufe encore au- jourd'hui, ne fut-ce que par le Dialo- gue de Philène oc de Sylvie, tant recité par nos pères & nos mères à la bavette. AinCi c'efl à M. Corneille que commence le changement arrivé au Théâtre, &c jô n'en écrirai plus l'Hiftoire que par rap- port à la Vie de M. Corneille, qui va être mon principal objet. G J IV FIE D E M. CORNEILLE. îERRE Corneille naquit à Rouen en 1606 de Pierre Corneille, Avocat du Roi à la Table de Marbre , & de Marthe le Pefant , dont la famille fubfitle encore avec éclat dans les grandes Charges. Il jfït fes études aux Jéfuitcsde Rouen, Se il en a toujours confervé une extrême jeconnoiflance pour ia Société. Il (e mit d'abord au Barreau , fans goût & (ans fuccès : mais comme il avoit pour le Théâtre un génie prodigieux, ce génie, Jufques-là caché, éclata bientôt ; & cette légève occafion que nous avons rappor- tée, fin fuiiifante pour développer deç talen? inconnus à lui - rr.cme jufqu'à ce moment , ou toujours retenus dans une efpèce de contrainte. Sa première Pièce fut donc Mélite. La Demoifelle qui en avoit fait naître le fujet , porta long-temps dans Rouen le nom de Mclite , nom glorieux pour Vie de M. Corneille. 8î elle, & quil'airocioit à toutes les louan- ges que reçut fon Amant. Mélite tut joue'e en 1625* avec un grand fuccès. On la trouva d'un carac- tère nouveau; on y découvrit un efprit original : on conçut que la Comédie alloit fe perfedionner ; & fur la con- fiance que l'on eut au nouvel Auteur qui paroiiïbit, il fe forma une nouvelle Troupe de Comédiens. Je ne doute pas que ceci ne furprenne. La plupart des gens trouvent l'.:s iix o-a fept premières Pièces de M. Corneille (i indignes de lui , qu'ils les voudroient retrancher de fon Recueil, & les faire oublier à jamais. Il eil: certain que ces Pièces ne font pas belles ; mais outre qu'elles fervent à l'Hiftoire du Théâtre , elles fervent beaucoup aulîi à la gloire de M. Corneille. Il y a une grande différence entre la beauté de l'Ouvrage & le mérite de l'Auteur. Tel Ouvrage qui efl fort mé- diocre n'a pu partir que d'un génie fu- bîime; & tel autre Ouvrage qui efl: aflez beau, a pu partir d'un génie afTez mé- diocre. Chaque fîècle a un degré de la- inière qui lui eft propre , & ert monté, pour ainfî dire, à un certain ton d'ef- prit. Les efprits médiocres demeurent ^2 V r Ë au-deflous du degré de lumière où eft leur fiècle : les bons efpritsy atteignent; les exceliens le pafient , fi on le peut paf- fer. Un homme né avec des talens effc naturellement porté par Ton fiècle au point de perfection où ce fiècîe eft ar- rivé ; l'éducation qu'il a reçue , les exem- ples qu'il a devant les yeux, tout le con- duit ju(ques-là : mais s'il va plus loin, il n'a plus rien d'étranger qui le foutienne j il ne s'appuie que fur Tes propres for- ces , il devient fupérieur au fecours dont il s'efl: fervi. Ainfi deux Auteurs , dont l'un furpaffe extrêmement l'autre par la beauté de fes Ouvrages, font néanmoins égaux en mérite, s'ils fe font également élevés chacun au-delTus de Ton (iccle. II eft vrai que l'un a été plus haut que fautre : mais ce n'efi: pas qu'il ait eu plus de force ; c'efl: feulement qu'il a pris fon vol d'un lieu plus élevé. Par la même raiion, de deux Auteurs dont les Ouvrages font d'une égale beauté , l'un peut être un homme fort médiocre, 6i l'autre un génie (ublime. Pour juger de Ja beauté d'un Ouvra-' ge , il fuffit donc de le confidérer en lui- même ; mais pour juger du mérite de l'Auteur, il faut le comparer à fon fié" cle. Les premières Pièces de M, Cor- D E M. C O R N Ê I L t É. S3 fiellte, comme nous avons déjà dit, no font pas belles ; mais tout autre qu'un génie extraordinaire ne les eût pas faites. Mélite eft divine , fi vous la liiez après les Pièces de Hardy. Le Théâtre y eft fans comparaifon mieux entendu , le Dialogue mieux tourné , les mouve- mens mieux conduits , les Scènes plus agréables ; fur-tout (& c'eft ce que Hardy n'avoit jamais attrapé) il y règne un air aiïez noble, & îa converfation des hon- nêtes gens n'y efl: pas mal repréfentée. Jufques-là on n'avoit guères connu qu» le Comique le plus bas, ou un Tragique afi'ez plat : on fut étonné d'entendre une nouvelle langue. Mais Hardy , qui avoit fes raifons pour vauloir confondre cette nouvelle efpèce de Comique avec l'a^v cienne , difoic que Méllu éioit une ajfei Jolie Farce. On trouva que cette Pièce étoit trop fimple , & avoit trop peu d'événemensi. M. Corneille , piqué de cette critique, fit Clitandre, de y (ema les incidens & les aventures avec une très - vicieufs profuf]on , plus pour cenfurer le goûc du Public que pour s'y accommoder. Il paroit qu'après cela il lui fut permis de revenir à fon naturel, La Galerie du §4 Vie Palais j la Veuve, la Suivante, la Place Royale font plus raifonnables. Nous voici dans le temps où le Théâ- tre devint fiorifiant par la faveur du grand Cardinal de Richelieu. Les Prin- ces & les Minières n'ont qu'à comman- der qu'il fe forme des Poctes, des Pein- tres, tout ce qu'ils voudront, & il s'en forme. II y a une infiriité de génies de dîfierenies elpcces qui n'attendent pour fe déclarer que leurs ordres, ou plutôt leurs grâces ; la Nature efl toujours prête à lervir leurs goats. Le Miniilère du Cardinal de B.iche- lieu enfanta donc en même temps les Corneille, les Rotrou, les Mairet, les Triftan , les Scudery , les du iiyer , outre quelques vingt ou trente autres , dont les noms font prélentement G en- foncés dans l'oubli , que quand je les en tirerois un moment pour les rapporter ici, ils y retomberoient tout auflî-tôt. On recommençoit alors à étudier le Théâtre des Anciens, & à foupçor.ner qu'il pouvoit y avoir des règles. Celle des vingt-quatre hcjres fut une des pre- mières dont on s'avifa ; mais on n'en faifoit pas encore trop grand cas , té- moin la manière dont M. Corneille lui- D E M. C O F. N E I L L E. S^* même en parle dans fa Préface de Cli- tandre 5 imprin:iée en i6j2. Que fi y ai rcnfirmé cette Pièce ( Clitandre ) dans la rcgU d'' un jour , ce nefl pas que je me re- pente de ny avoir point mis Mèlitc , ou que je me fois réfolu à ni y attacher dorénavant. Aujourd'hui quelques - uns ador&nt cette règle , beaucoup lu tncprijent ,• pour moi j'ai voulu feuUm'.nt montrer que ji je ni en éloi- gne ^ ce n'ejl pas faute de la connohre. Dans la Préface de la Veuve, impri- piée en 1634,11 dit encore qu'il ne fe veut pas trop aflujettir à la févérité des règles 5 ni aufli ufer de toute la liberté ordinaire fur le Théâtre François. Cela fcnt un peu trop fon abandon , mt^èant à toutes fortes de Poèmes , & particulier itncnt aux Dramatiques qui ont toujours été les plus réglés. Mais le (leur Durval, dans la Préface de (en Agarite imprimée en 1656, le prend bien fur un autre ton. Il fe ré- jouit aux dépens de ces pauvres règles de l'unité de lieu & des vingt -quatre heures ; il s'en moque de tout (on cœur. C'eft une chofe curieufe de voir com- bien il eft vif & agréable fur cette ma- tière. Ne croyons pas que le vrai foit victorieux dès qu'il fe montre ; il l'eft à la fin : mais il lui faut du temps pour %6 T I « foLimettre les efprits. Les règles du Poe-' me Dramatique , inconnues d'abord ou méprifées , quelque temps après com- battues, enfuite reçues à demi & fous des conditions, demeurent enfin maî- trefles du Théâtre : mais l'époque de l'entier établiflTement de leur empire n'efl proprement qu'au temps de Cinna. Dès la Veuve, qui n'eft que la qua-<' trième Pièce de M. Corneille , il paroîc qu'il avoit déjà pris le deiîus de tous Tes Rivaux. Ils parlent tous de la Veuve comme d'une merveille dans des Vers de leur façon imprimés au-devant de cette Pièce. Sur-tout ce que dicRotroii eft remarquable. pour te ren<3re juftice , autant que pour te phire. Je veux parler , Corneille , Se ne puis plus me tairc^ Juge de ton mérite , à qui rien n'efl: égal , Par la confeirion de ton propre Rival. Pour un mcme fujet même defir nous prefTe; Nous pourfuivons tous deux une même Maîcreffe | La Gloire Mon efpoir toutefois eft décru chaque jour , Depuis que je t'ai vu prétendre à fon amour. Qi:e tes inventions ont de charmes étranges. Que par toute la France on parle de ton nom , Ct qu'il n'eft plus d'eftinie égale à toû renom» ï)E M. CoêneillS. $7 Depuis, ma Mufe tremble , & n'eft plus II hardie ; Une j'aloufe peur Ta long-temps refroidie ; JEt depuis , cher Rival , je ferois rebuté De ce bruit fpécieux dont Paris m'a flatté , Si ce grand Cardinal ï-,a gloire où je prétenseft l'honneur de lui plaîrCf Et lui feul réveillant mon génie endormi , Eil caufe qu'il te refte un fi foible ennemi. Mais la gloire n'ell pas de ces chartes MaîtrefTèt Qui n'ofent en deux lieux répandre leurs carefTes» Cet objet de nos vœux nous peut obliger tous, -Et faire mille Amans fans en faire un jalou?. Tel on me voit par-tout adorer ta Clarice : Aufll rien n'ert égal à fes moindres attraits ; Tout ce que j'ai produit cède à les moindres traits.^} La coutume de rendre juftice au mé- rite de de louer ce qu'on n'avoit pas fait, n'étoit point jufques là bannie d'en- tre les Auteurs ; &; les plus grands Poctes étoient encore des hommes raifonnables. A propos de ces éloges à la vieille mode, je ne puis oublier une chofe qui peut paroître allez finguliére. Il y a un Hip- polyte imprimé en 1635* du fieur de la Pinelicre, Angevin. Dans la Préface , l'Auteur dit qu'il eft bien hardi d'avoir ofé mettre le nom de. fon pays en oros caractères au Frora'ijpke de fon Ouvrage , , ^ S8 Vie Qz/e comme autrefois pour être efi'imé poli dans la Grcce. , il ne fuùloit que Je dïrz d^ Athènes , ù pour avoir la réputation de. raillant , il falloit être de Lacedcmonc ; inaintenant pour fe faire croire excellent Poète, il faut être né dans la Normandie» Il convient qu'elle avait fait admirer le f/and Cardinal du Perron , Bertaut &■ Malherbe , & à cette heure MM. de Boif- robertyScudery ^ Rotrou, Corneille, Saint- Amand & BenJ'erade. Mais enfuite il pré- tend que l'Anjou neji pas fitué au-delà du Cercle Polaire ni dans Us Déferts d" A- rahie , & ne rc(Jcrnble pas à ces IJles qui ne font habitées que de Magots , de Aîonflres & de Barbares. Knfin , il étale tout ce qui peut fervir à la gloire de l'Anjou , jufqu'aux relies des Amphithéâtres des Romains. Il eft afifez remarquable qu'il y ait eu un temps où l'on fe foit cru obligé de faire Tes excufes au Public de ce qu'on n'étoit pas Normiand. Dans ce temps -là la Tragi- Com.édie étoit afÏÏ^z à la mode , genre mclé, où Ton mettoit un aficz mauvais Tragique avec du Comique qui ne valoit guèrcs mieux. Souvent cependant on donnoit ce nom à de certaines Pièces toutes le'- rieufes, à caufe que le dcnoucment en étoit heureux. La plupart des fujets ctoicnt DE M. Corneille. 8p étoieni d'invention , & avoient un air fort romanerqiie. Auil! la coutume étoit de mettre au-devant de ces Pièc-.ii de longs argumsns qui les expliquoient. Le Théâtre étoit encore alFez licen- cieux. Grande uimiliarité entre les per- fonnes quis'aimoient. Dans le Clitandre de M. Corneille, Califle vient trouve»: Rofidor au lit : il eH: vrai qu'ils doivent être bientôt mariés; mais un honnête Speclateur n'a que faire des préludes de leur mariage. Aufli cette Scène ne (e trouve que dans les premières éditions de la Pièce. P^otrou, en dédiant au Roi la Bague de l'Oubli , (a féconde Pièce , fe vante d'avoir rendu fa Miifey^ modeflc^ que fi du nsfl bdU , au moins elle cjî Jage , & que cTiine Profane il en a fait une Relipeufe ; & dans fa Céliane , qui eft faite deux ans après, on voit une Nife dans le lit, dont l'Amant la vient trou- ver, & n'efl embarrafle que dans le choix des faveurs qui lui font permifes: car il y en a quelques-unes réfervées pour le temps du mariage. A la fin l'Amant fs détermine; & comme il a délibéré long- temps, il jouit long -temps au(îi de ce qu'il a préféré. Nife a le loiî'ir de dire vingt Vers, au bout defquels (eulement ( car cela eft marqué en profe à la marge) Tome III. H 5)0 V I î Pamplvile tourne le vifage du coté des Speciatein-s. Il icrnble que cette Mufe , qui s'éîoit fait Religieufe, fe dirpenfoit un peu de ùs vœux ; ou , pour mieux dire, on ne tiouvoit pas alors que cela y fût contraire. Peut-être Rotrou croyoit-il avoir tout raccommode par la fageffe des vingt Vers que dit Nife dans îe temps qu'elle n'eft p.is trop û^ge. Elle débite une trcsiublime morale au mé- pris de la matière & à la louange de TeC- prit. CefiTcffru qu'il faut aimer, dit elle; il ny a que. lui digne de nos fi.ammis : fi yous ha'ifc^^ mes cheveux , mes cornettes en font autant. Et Pai^iphile , qui n'a pas paru trop profiter d'un fi beau difcours, dit pourtant à la fin , que fans ce louable entretien , il feroit mort de plaifîr : tant la morale bien placée a ce pouvoir I Rien n'tft plus ordinaire dans les Piè- ces de ce tcmpsià , que de pareilles li- bertés. Les luiets les plus férieux ne s'en fauvent pas. Dans la célèbre Sopho- nifbe de Mairet , lorfque Maffiniflc !k Sophonifbe arrêtent leur mariage , ils ne manquent pas de fe donner des ar- rhes.Syphax avoit auparavant reproché à SophoniPoe Vadulthe èc VimpudicitJ , grofles paroles qui aujourd'hui feroit^Qî fuir tout le monde. DE M. Corneille. pi Pendant que le Théâtre étoit fur ce pied- là , Lucrèce n'étoit.pas un fu jet à rebuter; aiifii du Ryer l'a-t-i! traité fans fcrupule. Rotrou a fait une Chrirante,qui eu une autre Héroïne violée par un Ca- pitaine Romain , dont elle efc prilonniè- re. Aujourd'hui ces fujets-là ne (croient pas foufferts. Efl-ce que nos mœurs font plus pures ? il eft bien sûr que non. C'eft feulement que nous avons l'efprit plus rafinné.L'efpritfeul fuffitpour nous don- ner le goût des bienfiances ; mais le goût de la vertu, c'eft autre chofe. Une des plus grandes obligations que l'on ait à M. Corneille, eft d'avoir purifié le Théâ- tre. Il fut d'abord entraîné par l'ufags établir mais il y réfida auffi-tôt après; & depuis Clitandre, fa féconde Pièce, on ne trouve plus rien de licencieux dans fes Ouvrages. Tout ce qui y reOe de l'ancien excès de familiarité dont les Amans étoient enfemble fur le Théâ- tre, c'eft le tutoiement. Le tutoiement ne choque pas les bonnes mœurs ; il ne choque que la poîiteiTe & la vraie galanterie. II faut que îa familiarité qu'on a avec ce qu'on aime fait tou- jours refpecflueufe; mais auftî il eft quel- quefois permis au reipect d'être un peu Il ij ^2 Vie fanhîier. On fe tutoyoit dans îe Tra- gique même aulTi-bien que dans le Co- miqut: ; & cet ufage ne liriit que dans l'Horace de Ai. Corneille , où Cariace & Camille le pratiquent encore. Natu- rellement le Comique a dû poufTbr cela un peu plus loin, &: à Ton égard le tu- toiement n'expire que dans le Menteur. M. Corneille, après avoir fait un eflai de Tes forces dans Tes fsx premières Piè- ces, oii il ne s'éleva pas beaucoup au- deflus de fon fiècle, prit tout -à-coup Teflor dans Médée , & monta jurqu'au Tragique îe plus (ublime. A la vérité , ii fut fecouru par Sénèque; mais il ne laifia pas de hiire voir ce qu'd pouvoir par lai -même. Enluite il retomba dans la Comédie ; de , h j'ofe dire ce que je penfe , la chute fut grande. L'illufioa comique dont je parle ici efl: une Pièce irréc^ulière & bizarre , & qui n'excu e pas par Tes agrémens fa bizarrerie 6c fon irrégularité. Il y domine un perfon- nage de Capitan , qui abat d'un foufHe le grand Sophi de Perfe & le grand Mogol , &i qui une fois en fa vie avoit cmpcché le Soleil de fe lever à fan heure prefcrite , parce qu'on ne trou- voit point l'Aurore , qui étoit couchée DE M. Corneille. 95 avec ce merveilleux Brave. Les carac- tères outrés ont été autrefois tort à la mode : mais qui repréfenroient - ils ? & à qui en vouloit-on ? Eft-ce qu'il faut outrer nos foiies jufqu'à ce point • là pour les rendre pîaifantes ? En vérité ce feroit nous faire trop d'honneur. Defmareîs , qui a fait une Comédie toute de ce genre , 6l pleine de fous qu'on n'a jamais vus, dit pourtant dans la Préface, qu'il ny a rien de Ji ordi- naire que de voir des idiots i imaginer qiids font amoureux fans fxvoir bien fouvent de qui ; & , fur le récit quon leur fait de quelque beauté , courir les rues y & fe perfuader qu'ils font extrêmement p.if- Jïonnés fans avçîr vu ce quils aiment. Il nous a.Ture auffi. qu'il y a beaucoup de filles éprifis de ct^tains Héros de Roman pour famour defquels elles méprijoient tous les vivans. Il faîloit que la nature fut encore bien inconnue, lorfque ces caradères là plaifoient lur le Théâtre ; & les Auteurs qui s'imaginoient avoir vu communément de ces fortes de fo- lies par le monde , étoient eux mêmes d'un caradèrs bien furprenant. Apres l'illudon comique , M. Cor- neille fe releva plus grand & plus fort iP4 V I ï qu'il n'avoit encore été , & fit le Cîd» Jamais Pièce de Théâtre n'eut un il grand fucccs. Je me fouviens d'avoir vu en ma vie un homme de guerre ÔC un Mathématicien , qui de toutes les Comédies du monde ne connoiilbient que le Cid j l'horrible barbarie où ils vivoient n'avoit pu empêcher !e nont du Cid d'aller jufqu'à eux. M. Corneille avoit dans fon cabinet cette Pièce tra- duite en toutes les langues de l'Euro- pe , hormis î'Efclavonne & la Turque. Elle étoit en Allemand , en A.nglois , en Flamand , & par une exactitude Flamande on l'avoit rendue Vers pour ;Vers. Elle étoit en Italien , & , ce qui e{ï plus étonnant , en Espagnol : les Efpagnols avoient bien voulu copier eux - mêmes une copie dont l'original leur appartenoit. M. PelilTon , dans fa belle Kiftoire de l'Académie Françoi- fe , dit qu'en pluheurs Provinces de France, il étoit paiTc en Proverbe de dire : Cela cfl beau comme le C'id. Si ce Proverbe a péri , il faut s'en prendre aux Auteurs qui ne le goûtoient pas , & à la Cour , où c'eût été très • mal parler que de s'en fervir fous le minii- tère du Cardinal de Iliçhelieu. "DE M. Corneille. 95^ Ce grand Homme avoit. la plus vafts ambition qui ait jamais été. La gloire de gouverner la France prefque abfolu- ment, d'abaiffer la redoutable Maifon d'Autriche, de remuer toute l'Europe à fon gré , ne lui fufÏÏfoit point ; il y vou- Joit joindre encore celle de faire dey Comédies : & que Ton ne croye pas quM s'en tînt-Ià. En même temps qu'il faifoit des Comédies , il fe piquoit de faire de beaux Livres de dévotion. Les Livres de dévojion ne Tempéchoient pas de fongcr à plaire aux Dames par les agrén'.ens de fa perfcnne. Malgré fa galanterie , il prétendoit pafl'er pour favant en Hébreu , en Syriaque & en Arabe , jufques - là qu'il voulut acheter cent mille écus la Polyglotte de M. le Jay pour la mettre fous Ton nom. En- fin, en fait de gloire, il embraiioit tout ce qui paroît le plus fe contredire: gé- nie infiniment élevé, dont les défauts mêmes ont de la nobleflTe , & s'attiroient prefque du relped: aullî-bien que fes grandes qualités. Une de celles qu'il prétendoit réunir en lui, c'eft-à-dire celle de Poète, le rendit jaloux du Cid. Il avoit eu part à (quelques Pièces qui avoient paru fou* c)6 Vie le nom de DôTmarets fon confident, 8c y pour ainfi dire , fon premier Commis dans le département des afi-aires poéti- que?. On prétend que le Cardinal tra- vailla beaucoup à Mirame , Tragédie éiflez médiocre , & qui emprunte foa nom d'une Princelle afllz mal morigé- née. // tcmoi^na , dit M. F^cliilbn , des tendnjfts de père pour cette Pièce , dont Li rcvrtjintatïon lui coûta deiix on trois cents mille écîis , & pour laquelle il fit bâtir cette grande Salle de fon Palais , qui [en encore aujourdiktà à ce Speciucle. Aulîî eft-elle intiru'ée : Ouverture du Pu/uis Cardirial. J'ai oui dire que les appîau- dilll-mens que l'on donnoit à cette Pic- ce, ou plutôt à celui que l'on favoit qui y prenoit beaucoup d'intérêt, tranrpor- toiont le Card'nal hors de lui-même; que tantôt il (e levoit , & fe tirolt à moitié du corps hors de fa loge pour fe montrer à l'Afiemblée; tantôt il im- pcfoit (ilence pour faire entendre des endroits encore plus beaux. On peut voir dans l'Hiftoire de l'Académie uîi autre exemple très- remarquable de fes foiblefles d'Auteur, & en même temps de fa grandeur a'arae ri foccafion de la grandi PafioraU dont il avoit fourni le fujet. CE M, C O R N E î L L F. ^s^/! îiîjet, & fait beancoup de Vers. ïl avoit donné !e plan & l'intrigue des Thlkrus ôc de V/lveugle de Smyrm. , Pièce dont il fîr faire les cinq AÂes à cinvj A^uteurs diFérens , qui furent Meilleurs de Boif- robert , Corneille , Coîletet , de TEf- toille & Rotrou. Le plus grand mérite de ces Comédies confifte dans le nom de l'in- venteur & la fingularité de l'exécution , Ici je ne puis m'empêcher de dire que je foupçonnerois volontiers M. le Car- dinal d'avoir audi eu part à l'Europe de Defmarets. C'efl une Allégorie politi- que. Francion & Ibère font amoureux d'Europe. Ibère fe fait haïr par des ma-; nicres hautaines & dures , par un génie tyrannique. Francien plaît par des qua- lités toutes oppofées. Ibère & Francion, quoiqu'Amans de la Reine Europe, ne laiflent pas de faire la cour à àts Prin- ceffes d'un moindre rang , telle qu'eft Auftrafie. Francion, toujours heureux en amour, obtient d'elle trois nœuds de cheveux, qui, quand on a ôté le voile de FAllégorie, fe trouvent être les Places de Clermont, Stenay & Jametz. Toute la Pièce efl: de cecaradère. qui fent bien le Miniftre Pocte. Le Cardinal , qui pan fes galanteries avoit obtenu, les trois ^t Vie i-rcends de cheveux , a bien l'air de fe vanter d>j i^ï bonnes fortunes. Quand le Cid parut, le Cardinal en fut auflî alaraié ques'ii avoit vu les KC» pagooîs devant Paris. Il fouleva les Au- teurs contre cet Ouvrage , ce qui ne dut pas être fort difficile , & fe mit à leur lête. M. de Scudery rv.blia (es obferva- tions fur le Cid, ac plu- iîeurs petites Pièces de M. de San- teuil. Il eftimoit extrêmement ces deux Poëtes. Lui-même fai'oii fort bien des Vers Latins ; il en fit fur la Campagne de Flandres en 1667, qui parurent lï beaux , que non - feulement plufieurs perfonnes les mirent en François , mais que les meilleurs Poètes Latins en pri- rent l'idée , & les mirent encore en La- tin. II avoit traduit (a premicre Scène de Pompée en Vers du ftyle de Sénc- que le Tragique, pour lequel il n'avoit pas d'averlion, non plus rue pour Lu- cain. Il falioiî audi qu'il n'en eiit pas pour Stace , fort inférieur k Lucain , puifqu'il en a traduit en Vers- i - grands attachemens. Il avoit J'ame fière & indépendante , nulie foupiefle nul nianege ; ce qui l'a rendu très - propre a peindre la vertu Romaine , & très- peu propre à faire fa fortune. Il n'ai- nioit point la Cour; il y apportoit un vilage prefque inconnu , un grand nom qui ne sattiroit que des louanges, & un mente qui n etoit point le mérite de ce pays -là. Rien n'étôit égal à Ton in- capacité pour les affaires , que Ton aver- lon. Us plus légères lui caufoient de 1 effroi & de la terreur. Il avoit plus damour pour l'argent, que d'habillé ou d application pour en amaffer. Il ne setoit point trop endurci aux louantes a force d en recevoir : mais quoiou^ fenfîble à la gloire , il étoit fo?t éloi! gne de la vanité. Quelquefois il s'affu- roit trop peu f :r (on rare mérite , Se croyoït trop facilement qu'il put a^o^ des rivaux. ^ A beaucoup de probité & de droi- ture naturelle il a joint dans tous les ^mps de fa vie beaucoup de religion, & plus de piété que fon genre d'occu^ pation nen permet par lui-même. Il . eu fouvent befoin d'être raffu ré par des Cafuiftes fur fes Pièces de Théâtre j & L ij 224- Vie de M. Corneille; ils lui ont toujours fait grâce en faveuif ce la pureté qu'il avoit établie fur la Scène , des nobles fentimens qui ré- gnent dans fes Ouvrages, & delà vertu qu'il a mife jufques dans l'amour. RÉFLEXIONS SUR LA POÉTIQUE. I. L arrive quelquefois que des Pièces irrégulières , telles que le Cid , ne laif- fent pas de plaire extrêmement : auflî- tôt on fe met à méprifer les règles ; c eft , dit -on, une pédanterie gênante & inutile , &; il y a un certain art de plaire qui efl: au - deflus de tout. Mais qu'ed-ce que cet art de plaire ? Il ne fe de-finit point : on l'attrape par hafard ; on n'efi pas sûr de le rencontrer deux fois ; enfin , c'eft une efpcce de magie tout-à-fait inconnue. Peut-être tout cela n'eft-il pas vrai. Il y a beaucoup L iij 126 Réflexions d'apparence que quand les Pièces îrre- gulières plaifent , ce n'efi: p.is par les endroits Irréguliers , & il eft certain qu'il n'y a Pièce fur la Théâtre qui foit à de certains égards il régulière que le Cid. Mais il fe pourroit bien faire que tout ce qu'il y a d'important pour le .Théâtre ne fut point réduit en règles , ou du moins ne fût pas fort connu. Ces règles qui- ne font pas encore faites , ou que tout le monde ne fait pas , voilà apparemment l'art de plaire , voilà en qui coniii'ie la magie. I I. Pour trouver les règles du Théâtre , il faudr^'it remonter jufqu'aux premiè- res fources du beau, découvrir quelles font les chofes dont la vue peut plaire aux hommes , c'eft- à -dire , leur occu- per refprit , ou leur remuer le coeur agréablement ; & cela eft déjà d'une vafte étendue & d'une fine difcuflion. Après avoir découvert quelles font les actions qui de leur nature font propres à plaire , il faudroit examiner quels changemens y apporte la forme du Théâtre, ou par nécelîité , ou pour le SUE LA Poétique, i sf feul agrément î & ces recherches étant fiiites avec toute T^ixacLitude & toute la judcile néceffaires , alors on n'auroit pas feulement trouvé les règles du Théâ- tre, mais on feroit sûr de les avoir trou- vées toutes -, & (I , en defcendant dans le détail, il en étoit échappé quelqu'une, on la rameneroit fans peine aux princi- pes qui auroient été établis, I I I. Avoir trouvé toutes les règles du Théâtre , ce ne feroit pas encore toute la Poétique ; il faudroit comparer en- femble ces différentes règles, &: ji-igeir de leur différente importance. Telle cd prefque toujours la nature des fujets , qu'ils n'admettent pas toutes fortes de beautés : il faut faire un choix , & fa- criHer les uns aux autres. Ainfi i! feroit fort utile d'avoir une balance où l'on pût, pour ainfi dire, pefer les règles. On verroit qu'elles ne méritent pas toutes une égale autorité. Il y en- a qu'il faut obferver à la rigueur , d'au- tres qu'on peut éluder; & , f i on peut le dire , les unes demandent une fou- miflion fînccre, les autres fe contentent L iv 128 p. ÉFLEXIONS d'une fourr.iiïion apparente. Si l'on avoît trouvé les dihTérentes lources qui les pro- duifent , il ne leroit pas diiiicile ds don- ner à chacune fa véritable valeur. I V. Ce plan d'une Poétique , tel que fe l'inîTigine, cil prefque immenle , & de- nianderoit une julleiTe c'elprit infinie. Je n'ai garde de m'engager dans une pa- reille entreprife. Je veux feuScrrient Faire voir que ce plan n'eil pas fî chimérique qu'il pourra !v pr.roia>; d'abord à de cer- taines perfonnes , j'en veux donner une Jégcre ébauche , éc aninner, (i je puis, quelqu'un à l'exécuter. Ce fera bien aflez pour moi , fi de ce nonnbre prodi- gieux de vues qu'il faudroit avoir, j'en attrape quelques-unes ; &: fi de ce grand tout que je ne faurois embrafler , j'en puis faiiir quelque partie. V. L'efprit aime à voir ou à agir , ce qui eft la même chofe pour lui : mais il veut voir &: agir fans peine ; de ce qui eft à remarquer , tant qu'on le tient SUR LA P O E ï I Q U È. I 2p' dans les bornes de ce qu'il peut faire fans effort , plus on lui demande d'ac- tion , plus on lui fait de plaifir. Il elt adif ju(qua un certain point, au-delà très-parefleux.D'un autre côté, il aime à changer d'objet & d'aftion. Ainfi il faut en même temps exciter fa curio- fïté , ménager fa parefle , prévenir fon inconftance. V L Ce qui efl important , nouveau , fîn- gulier , rare en ion efpèce , d'un événe- ment incertain , pique la curiofité de l'efprit ; ce qui efi un & (impie accom- mode fa pareffe ; ce qui e(t diverlifié convient à ion inconflance. D'où il efi: aifé de conclure qu'il faut que l'objec qu'on lui préfente ait toutes ces quali- tés enfenible pour lui plaire parfaite- ment. V I I. géd L'importance de l'adion de la Tra- gédie fe tire de la dignité des pardon- nes & de la grandeur de leurs intérêts. Quand les aftions font de telle nature, que , fans rien perdre de leur beauté , elles pourroient fe paiïer entre des per- 130 Réflexions fonnes peu confidérables , les noms de Princes & de Rois ne font qu'une pa- rure étrangère que l'on donne aux fu- jets ; mais cette parure , toute étran- gère qu'elle ell: , eft nécclfaire. Si Ariane n'étoit qu'une Bourgeoife trahie par fon Amant &: par fa fœur, la Pièce qui porte fon nom ne laifieroit pas de fub- fîfter toute entière: mais cette Pièce fi agréable y perdroit un grand orne- ment ; il faut qu'Ariane foit Princefle , tant nous lommes deftinés à être tou- jours éblouis par les titres. Les Ho- races & les Curiaces ne font que des Particuliers , de (impies' Citoyens de deux petites Villes : mais la fortune des deux Etats eft attachée à ces Particu- liers ; l'une de ces deux petites Villes a un grand nom , &; porte toujours dans l'efprit une grande idée. Il n'en faut pas davantage pour ennoblir les Horaces & les Curiaces. V I î r. Les grands intérêts (e réduifent à ctre en péri! de perdre la vie ou l'honneur, ou la liberté ou un Trône , ou fon Ami ou fa Maîtrelfe. On demande SUR LA Poétique. 131 ordinairement (i la mort de quelqu'un des perfonnagcs eft néceflaire dans la Trage'die. Une mort efl, à la vérité , un événement important ; mais fouvent il fert plus à !a facilité du dénouement qu'à rimportance de l'action , & le péril de mort n'y fert pas quelquefois davanta- ge. Ce qui rend Rodrigue h digne d'at- tention , eft - ce le péril qu'il court en combattant le Comte, les Maures ou D. Sanche ? Nullement ; c'eft la nécef- fité OLi il eft de perdre l'honneur ou fa MaîtreiTe ; c'eft la difficulté d'obtenir fa grâce de Chimène dont il a tué le père. Les grands intérêts font tout ce qui remue fortement les hommes; & il y- a des momens où la vie n'eft pas leur plus grande pallion. I X. Il femble que les grands intérêts fe peuvent partager en deux eîpèces; les uns plus nobles, tels que Tacquifition ou la confervation d'un Trône, un de- voir indifpenfable,une vengeance, &:c. ; les autres plus touchans, tels que l'a- mitié ou l'amour. L'une ou l'autre de ces deux fortes d'intérêts donne fon ca- 1^2 Réflexions radère aux Tragédies ou elle domine. Naturellement le noble doit l'empor- ter fur le touchant ; & Nicomède , qui eft tout noble , efl: d'un ordre fupérieur à Bérénice , qui eil: toute touchante. Mais ce qui eft inconteftablement au - deffus de tout îe refte , c'eft le noble & le tou- chant réunis enfemble. Le feul fecret qu'il y ait pour cela , eft de mettre l'amour en oppoHtion avec le devoir , l'ambition, la gloire; de forte qu'il les combatte avec force , & en foit à la fia furmonté. Alors ces aétions font véri- tablement importantes par la grandeur des intérêts oppofés. Les Pièces font en même temps touchantes par les combats de l'amour , & nobles par fa défaite. Telles font le Cid, Cinna, Polieucle, X. Les Anciens n'ont prcfque point mis d'amour dans leurs Pièces , êc quel- ques • uns les louent de n'avoir point avili leur Théâtre par de fi petits (enti- mens. Pour moi , j'ai peur qu'ils n'aient pas connu ce que Tamour leur pouvoit produire, Je ne vois pas trop bien où (croit la finefle de ne vouloir pas traiter des fujets pareils à Cinna ou au Cid. suPv LA Poétique. 13 J Toute la queflion eft de mettre l'amour à fa place , c eft- à -dire au-deflbus de quelque pailion plus noble, contre la- quelle il fe révolte avec violence , mais inutilement. Cette règle n'eft néceflaire que pour les Pièces du premier ordre , & elle n'a guères été pratiquée que par M. Corneille. X I. Le nouveau & le fingulier peuvent fe trouver dans les événemens de la Pièce & dans les caradères : mais nous en parlerons ailleurs plus à propos. Ici, nous- ne parlerons que du nouveau & du fingulier qui peuvent fe trouver dans les paffions. Le vrai ne fuifit pas pour attirer l'attention de l'efprit , il faut un vrai peu commun. Tout le monde connoît les paflions des hom- mes jufqu'à un certain point; au delà, c'eft un pays inconnu à la plupart des gens , mais oii tout le monde eft bien- aife de faire des découvertes. Combien les paflions ont - elles d'effets délicats & fins qui n'arrivent que rarement, ou •qui 5 quand ils arrivenc 1 ne trouvent pas d'obfervateurs aflez habiles .<* Il lufiit de plu§ qu'elles Toient extrêmes 134 Réflexions pour nous être nouvelles. Nous ne les voyons prefque jamais que médiocres. Ou font les hommes parfaitement amou- reux, ou ambitieux, ou avares ? Nous ne Tommes parfaits fur rien , non pas même fur Je mal. X I r. Qu'un Amant mécontent de fa Maî- trefle s'emporte jufqu'à dire qu'il ne perd pas beaucoup en la perdant , ëc qu'elle n'eft pas trop belle ; voilà déjà îe dépit pouffé afTez loin. Qu'un Ami à qui cet Amant parle , convienne qu'en effet cette perfonne-là n'a pas beaucoup de beauté , que par exemple elle a les yeux trop petits ; que fur cela l'Amant dife que ce ne font pas fes yeux qu'il faut blâmer , & qu'elle les a trcs-agréa- bles; que l'Ami attaque enluite la bou- che, éc que l'Amant en prenne la dé- fenfe ; le même jeu fur le teint, fur la taille : voilà un effet de palfion peu commun, fin , délicat , & très-agréa- ble à confidérer. Cet exemple, quoique comique, & tiré du Bourgeois Gentil- homme, m'a paru fi propre à expli- quer ma penfée , que je n'ai pu me SUR LA Poétique. 135' réfoudre à en apporter un plus férieux. Nous ne connoifions pas nous-mêmes combien les Romans de notre fiècle font riches en ces fortes de traits , & jufqu'à quel point ils ont poufle la Icience du cœur. XIII. La finefle, la délicateffe, enfin Tagré- iment de ces effets de paflion , confident aflez ordinairement dans une efpcce de contradiâiion qui s'y trouve. On fait ce qu'on ne croit pas faire , on dit le contraire de ce qu'on veut dire , on cft dominé par un fentiment qu'on croit avoir vaincu , on découvre ce qu'on prend un grand foin de cacher. Celle de toutes les pallions qui fournit le plus de ces fortes de jeux, & peut-être la feule qui en fournifle, c'efl l'amour. L'obligation où font les femmes de le vaincre ou de le diflîmuler , & la dé- licatefle de gloire qui fait qu'elles fe le diflimulent à elles-mêmes ^ font des fources très- fécondes de ces contradic- tions agréables. Les hommes font ra- rement à cet égard dans la même fitua- tion que les femmes i auffi l'amour ne fi^^ Kéflexions plaît pas tant dans leur perfonne. L'am- bition & la vengeance n'ont point par elles - mêmes de ces effets contraftés; & ceux qui font d'un cara(^ière à ref- fentir vivement ces pallions s'y livrent ians les combattre & (ans les déguifer. XIV. Rarement ceux qui afpirent ou à s'élever ou à fe venger, font-ils délicats fur les moyens qui les y peuvent con- duire ; les Amans le (ont fur les moyens de parvenir à la poftilion de ce qu'ils aiment. L'efpérance d'ctre aimé, ou la crainte de ne Tétre pas , roulent fur un regard , fur un foupir, fur un mot, enfin fur des cliofcs prefque impercep- tibles & d'une interprétation douteufe; au lieu que les efpérances ou les crain- tes qui accompagnent l'ambition & la vengeance , ont des fujets plus mar- ques , plus déterminés , plus palpa- bles. Ceux mêmes qui font aimés, peu- vent douter s'ils le font , ou craindre à chaque moment de ne l'être plus, ou s'affliger de ne l'être pas aflez. Quand on s'efl: vengé , quand on cft arrivé au terme de foa ambition , tout cft fini. Enfin SUR LA Poétique. 137 Enfin l'amour produit plus d'efl-'ets fîn- guliers & agréables à conlidérer , parce qu'il a des objets plus fins, plus incer- tains, plus changeans. Je fens que l'on pourroit poulfer encore plus loin le pa- rallèle de l'amour & des autres pafiîons , & que lamour en (ortiroit toujours à fon honneur. Mais je crois en avoir afTez dit pour prouver qu'aucune autre paf- fion ne peut avoir par elle-même au- tant d'agrém.ent fur le Théâtre. La dif- pofition des Spedateurs y contribue encore. N'y a-t-il pas plus d'amour au monde , que d'ambition ou de ven- geance? X V. La fingularité ou la bizarrerie déli- cate des effets d'une paillon , efl: un fpedacle plus propre à pîaiie que fa feule violence , parce qu'elle donne occalîon à une plus grande découverte. 11 e(\ vrai que ces deux beautés peu- vent être réunies , & un effet fingulier d'une palfion en marque en même temps la force. De -là il s'enfuit encore que l'amour doit plus fournir au Théâtre , que la vengeance ou l'ambition , qui n'ont guères d'autre agrément que leur Tome .m, M 13B Réflexions violence, & qui font privées d'une in-' iînité de raffinemeiis & de délicatelTes que l'amour feul a en partage. Un per- lonnage qui n'a que de l'amour, peut remplir une Pièce , témoin Ariane & Bérénice ; nul autre caractère ne peut occuper la même étendue. L'amour efl le plus abondant de le plus fertile de tous les fentimens. XVI. Ce qui efl rare & parfait en fon efpè- ce , ne peut manquer d'attirer l'atten- tion. Ainfi il faut toujours peindre les caraétères dans un degré élevé ; rien de médiocre , ni vertus , ni vices. Ce qui fait les grandes vertus , ce font les grands obftaclcs qu'elles furmontent. Le vieil Horace facrifie l'amour pater- nel à l'amour de la Patrie, quand il dit, qu'il mourût ^i}c.\ voilà un grand am.our pour la Patrie. Pauline , malgré la paf- iion qu'elle a pour ^isQXit^ qu'elle pour- roit époufer aprè:^ la mort de Polieude , veut que ce mcnie Sévère fauve la vie à Polieuéte ; voilà un grand attache- ment à Ton devoir. Un feul de ces traits fuffiroitpjur faire un grand caradère. SUR LA Poétique. î^^ X V 11. Les vices ont suilî leur perfecftion. Un demi-tyran feroit indigne d'cîre re- gardé ; rcais l'ambition, la cruauté, la perfidie pouffées à leur plus haut point » deviennent de grands objets. La Tragé- die demande encore qu'on les rende , autant qu'il ell: polîible , de beaux ob- jets. II y a un art d'embellir les vices, & de leur donner un air de noblelTc ôc d'élévation. L'ambition ei\ noble , quand elle ne fe propofe que des Trô- nes ; la cruauté l'eft en quelque forte , quand elle efl: foutenue d'une grande fermeté d'ame ; la perfidie même l'efi: aulli, quand elle eft accompagnée d'une extrême habileté. Cléopatre dans Rodo- gune, Phocas, Stilicon , font de beaux caradères dans toutes ces Pièces. L^* Théâtre n'ert: pas ennemi de ce qui efl vicieux , mais de ce qui ef} bas & pe- tit. C'eft-là ce qui gûte les caradères de Néron & de Mithridate , tels qu'on les a donnés dans deux Tragédies très- connues du Public, & pleines d'ailleurs de très -grandes beautés. L'un fe cache derrière une porte pour écouter deux M i) T40 Réflexions Amans ; l'autre , pour furprendre une jeune perfonne & lui faire dire Ton fe- cretjfe fertd'un petit artifice de Comé- die , & qui eil même fort ufé. Ces deux perfonnages font alFez cruels & aflez perfides; ce n'eft pas - là ce qui leur manque : mais ils le font balTement. XVIII. Cependant M. Corneille a mis fur le Théâtre deux caradères alTez bas , Pru- iias & Félix ; & ils y réullirent tous deux : mais il faut remarquer que Né- ron & Mithridate font des aiiions bafles dont le Spedateur eft témoin , &c ceux- ci n'ont tout au plus que des fenti- mens bas ; les fentimens qui ne font que des difcours , frappent beaucoup moins que les actions. De plus , la baf- {i:[fc des fentimens de Pruiias & de Félix eft fi naturelle dans les conjonc- tures où ils fe trouvent , qu'il n'y a qu'un cœur de îléros qui s'en pût ga^ rantir ; & même elle reprcfente les pre- miers mouvemens du cœur d'un Héros: mais il n'y a aucune nécefTité d'agir comme a^iiTcnt Néron & Mithridate. Eiifm ces deux caradcres fervent à SUR LA Poétique. 14,1 en faire éclater d'autres parfaitement héroïques, ce que ne font pas ceux de Mithridate & de Néron, PardelTus tout cela , quand Félix avoue qu'il ne feroit pas fâché de la mort de Ion gendre , parce qu'il en tireroit quelque avantage pour fa fortune, M. Corneille a eu la fage précaution de lui donner de la honte de ce fentiment ; & qui exami- nera de près le tour dont il s'efl (ervi , reconnoîtra combien il faut d'art pour manier ces fortes de caradcres , & combien il efl: difficile de les réconci- lier avec le Théâtre qui les rejette na- turellement. II n'appartient qu'à un gé- nie du premier ordre de nous donner un perfonnage bas, XIX. Quand on veut juftifier des Auteurs qui n'en ont nrefque pas donné d'au- tres , & qui n'y ont apporté aucun art , ou qui n'ont peint que des caractères communs Ik foibles en leur efpèce, on dit : C'eft-là la nature ; & on croit avoir tout dit. C'eft-là la nature , il eft vrai : mais n'y a t il pas* quelqu'autre chofe de plus parfait , de plus rare 142 RÉFLEXIONS en Ton efpèce , de plus noble, qui efl au ni la nature ? C'eft cela qu'on vou- droit voir. Que diroit-on d'un P^;intre qui ne repréfenteroit les hommes que corn-re ils font faits communément , petits , mal tournes , mal proportion- ne's, de mauvais air? Ce feroit-là pour- tant la nature. X X. Un des grands fecrets pour piquer la curiofité , c'eft de rendre l'événement incertain. Il faut pour cela que îe nœud foit tel qu'on ait de la peine à en pré- voir le dénouement, & que le dénoue- ment foit douteux jufqu'à la fin , & , s'il fe peut , jufqu'à la dernière Scène. Lorf que dans Stilicon , Félix eft tué au mo- ment qu'il va en fecret donner avis de la conjuration à l'Empereur, Hono- rius voit clairement que Stilicon ou EucHerius , Cts deux Favoris , lont les Chefs de la conjuration , parce qu'ils étoient les feuls qui fuflent que l'Em- pereur devoit donner une audience fe- crcte à Félix. Voilà un nccud qui met Honorius , Stilicon & Eucherius dans une fituation très - embarraflante; & il eft très - difficile d'imaginer comment s UR L A POETI QUE. Î43 ils en fortiront. Qui feroit-ce qui pour- roit laifler la Pièce à cet endroit -là? Tout ce qui ferre îe nœud davantage, tout ce qui le rend plus mal-aifé à dé- nouer , ne peut manquer de faire un bel effet. II faudroit même, s'il fe pou- voit , faire craindre au Speâ:ateur que le nœud ne fe pût pas dénouer heureu- fement, XXI. La curiofité une fois excitée n'aime pas à languir ; il faut lui promettre fans cefTe de la farisfaire , & la con- duire cependant fans la fatisfaire juf- qu'au terme que Ton s'eft propofé. Il faut approcher toujours le Spedateur de la conclufîon , & la lui cacher tou- jours ; qu'il ne fâche pas où il va , s'il éft pofîîble, mais qu'il fâche bien qu'il avance. Le fujet doit marcher avec vî- teffe : une Scène qui n'eft pas un nou- veau pas vers la fin eft vicieufe. Tout eft adion fur le Théâtre , & les plus beaux difcours même y feroient infup- portables, 11 ce n'étoient que des dlf- tours. La longue délibération d'Au- gufie . qui tient le fccond A3.e de Cin- na , toute divine qu'elle eft , feroit la 144 Rétleîceons plus mauvaife chofe du monde, fi à îa fin du premier Acle on n'étoit pas de- meuré dans l'inquiétude de ce que veut Augufle aux deux Chefs de la conjura- tion qu'il a mandés ; fi ce n'écoit pas une extrême furprife de le voir délibé- rer de fa plus importante alïaire avec deux hommes qui ont conjuré contre lui ; s'ils n'avoient pas tous deux des raifons cachées , & que le Sped.iteur pénètre avec plailir, pour prendre deux partis tout oppofés; enHn, fi cette bonté qu'Augufte leur m.arque n'étoit pas le lujet des remords & des irré(olutions de Cinna , qui font la grande beauté de fa fituaiion. XXII. Un dénouement fufpcnJu jufqu'au bout , & imprévu , efl d'un grand prix. CamRia , pour fauver la vie à Saulîrate qu'elle aime , fe réfout enfin à cpou- fer Sinorix qu'elle hait , & qu'elle doit haïr. On voit dans le cinquième Aète Camma & Sinorix revenus du Temple où ils ont été mariés ; on fait bien que ce ne peut pas-là être une fin; on n'ima- gine point où tout cela aboutira , èc d'autant SUR LA Poétique. 147 d"*autant moins que Camma apprend à Siîiorix qu'elle fait Ton plus grand cri- me , dont il ne la croyoit pas inftruite ; de que quoiqu'elle l'ait e'poufé , elle n'a ri'.in relâché de fa haine pour lui. Il efl; obligé de fortir , de elle écoute tran- quillement les p!a:ntes de Ton Amant, qui lui reproche ce qu'elle vient de faire pour lui prouver à quel point elle l'aime.'Tout eft fufpendu avec beau- coup d'art 5 jufqu'à ce qu'en apprenne que Sinorix vient de rnourir d\\n mal dont il a été attaqué fubitement , dz que Camma déclare à Softrate qu'elle a empoilonné la coupe nuptiale oij elle a bu avec Sinorix , & qu'elle va mourir aulTi. Il efl: rare de trouver un dénoue- ment auûi peu attendu, & en mcme temps auflî naturel. XXIII. Comme la plupart des fujets font îiiftoriques , le feul titre des Pièces en apprend le dénouement ; & alors il faudroit , s'il étoit pofiible , prendre une route qui parût ne devoir pas con- duire à ce dénouement connu par l'Hif- toire 5 & qui y conduisît cependanÊ, Toms IIL N 1^6 RÉFLEXIONS Ceux qui fauroient que Camma fit mourir Sinorix, feroient bien éloignés, dans le cinquième Ade même , de de- viner comment le Focte fera parvenu à cet événement, lorfqu'ils verroient le mariage de Camma & de Sinorix ter- miné ; Se en ce cas la furprife eft en- core plus grande que fi l'on n'avoit pas fil l'Hiftoire , parce qu'on voit des chofes toutes oppofées à ce qu'on at- tend. r»lais , encore un coup , ces fortes de dénouemens font rares. Tout ce qu'on peut fliire de mieux pour les au- tres qui font annoncés par l'Hifioire , ou aifés à prévoir par la nature du fu- jet , c'efl de les rendre furprcnans pour les Aéleurs, s'ils ne le (ont pas pour les Spedateurs. A la lin du quatrième Ad:e d'Ariane , Théfee & Phèdre prennent la réfolution de s'enfuir enfembie : voilà Iç dénouement annoncé bien clairement au Spedateur ; il ne fera pas furpris d'apprendre au cinquième Afte , que Théfée & Phèdre font partis : mais 'Ariane en fera extrêmement furprife , fur-tout du départ de Phèdre fa fœur, qu'elle aimoit tendrement, & qu'elle ne croyoit pas fa rivale ^ & le Spectateur ^ttçnd avec impatience l'étonneiiient SUR LA "Poétique. 147 ôi le déferpoir d'Ariane. Il paroît par mille autres exemples , que le Specfta- teur jouit avec plaîiir d'une furprife qui n'eft que pour l'Adeur , & non pas pour lui. Alors fa curiodté n'a plus pour objet l'événement même , mais feule- ment l'effet qu'il fera fur i'Aâteur , de un dénouement de cette efpèce ne laiiTe pas d'être fort agréable. Le cinquième A-ite d'Ariane l'eiT: au dernier point. XXIV. Voilà à-peu-prcs ce que l'efprit de- mande dans les objets par rapport à fa curiofité : mais d'ailleurs , qu'il foit borné ou parefleux , il veut que ce qu'on lui prélentc à confidérer foit un & firaple. Il eiL vifîble d'abord que deux actions qui iroient de front le partageroient défagrcablement ; il op- teroit bientôt entre les deux , & celle à laquelle il le feroit attaché lui donne- roit du dégoût pour l'autre. Il arrive- roit le même inconvénient d'une adion traverfée par quelque chofe d'étranger ou d'inutile ; ainli tout conclut pouf l'unité. N ij !Î4S Réflexions XXV. Nous ne fàvons pas trop bien ce que les Anciens ont entendu par épi^ fode , ni ce que nous entendons nous- mêmes par ce mor. Heureufement il n'importe guères. Si épi(ode ell quel- que chofe d'inféré dans l'adion , & qui s'en pourroit ôter fans lui faire aucua tort, comme les Amours des fubalter- nes dans quelques Opéra , où ils ne laiflcRt pas de faire de jolies Scènes, tout épifode eft vicieux. Si au con- traire épifode s'entend des intérêts des féconds perfonnages, qui, quoiqu'ils ne foient pas les principaux moteurs de l'adiion , y aident cependant , les épi- fodes font très-bons, & fouvent nécef» (aires. XXVI. Quand je dis que les féconds per- sonnages aident à i'adion , je n'entends pas qu'ils prêtent la main à une ma- chine qui auroit bien pu aller fans eux, quoique peut -être moins f:icile- ment ; j'crtends que leur fecours foit. abfoluraent nécelTaire ; & il ne faut pas SUR LA Poétique. 149 tnême que ce fecours foit tardif, c'eft- à-dire , que la néceffité de ces féconds perfonnages ne fe faiTe fentir que tard dans le cours de la Pièce ; car autant qu'ils ont paru iufques-là, autant ils ont ennuyé. Eriphile efi: néceflaire pour le dénouement d'îphigénie ; c'eft la Bi- che de la Fable , &: on ne s'en pouvoit paflTer : mais elle ncïï néceflaire qu'à la lin du dernier Aéte, & cela ne la juili- fie pas fuf-Hfamment de s'être fdit voir dans les autres. XXVII. II faut qu'à l'unité fe joigne la fîm- pllcité. J'appelle acftion (impie celle qui eft aifée à fuivre, & qui ne fatigue point l'efprit par une trop grande quantité d'incidens. Il ne faut pas s'imaginer que la (implicite ait par elle-même aucun agrément ; & ceux qui louent par cet endroit -là les Pièces Grecques, ont bien envie de les louer , & ne fe con- noiffent guères en louanges. D'un autre côté, Héraclius eft trop chargé de faits & d'intrigues trop éloignés du fîmple. Il y a donc quelque chofe de bon dans la (implicite : mais en quoi cela con- filk-t-il ? N iij i^o Réflexions X X V I î I. La (implicite ne p!aît point par eîîe-- inême ; elle ne fait qu'épargner de la peine à Tefprit. La diverfité au contraire par elle - même eft agréable ^ refprit aime à changer d'adion & d'objet. Une chofe ne plait point précifément par être fimple , & elle ne plaît point da- vantage à proportion qu'elle eft plus fîmple ; mais elle plaît par être diver- fifice fans csfH^r d'être (impie : plus elle eft diveriiHée fans ceîTer d'être lîmple , plus elle plaît. En effet , de deux Spec- tacles, dont ni l'un ni l'autre ne fatigue J'efprit , celui qui l'occupe le plus lui doit être le plus agréable. On n'admire point la Nature de ce qu'elle n'a com- pofé tous les vifages que d'un nez , d'une bouche, de deux yeux; mais on l'admire de ce qu'en les compofant tous de ces mêmes parties , elle les a faits fort différens. Voilà la (implicite & la diverfité qui pîaifent par leur union. L'une eft peu digne d'être confidcrée , mais du moins aifce à confidérer ; fon plus grand mal ell d'être infîpide : l'au- tre ell piquante , digne d'attention ; SUR LA f*OETIQUE. IJI mais d'une étendue infinie , & qui éga- reroit trop refprit. Ainfi il arrive, quand elles s'unifTent, que la (implicite donne de juftes bornes à la diverlité , & que la diverfité prête Tes agrémens à la fim- plicité. XXIX. La diverfité d'aclion , fi cela fe peut dire , n'eft donc gucres moins impor- tante que l'unité & la fimplicité. Les Efpagnols diverfifient ordinairement leurs Pièces , en y mettant beaucoup d'intrigues & d'incidens. Princes dégui- fés ou inconnus à eux - mêmes , let- tres équivoques ou tombées entre les mains de gens à qui elles ne s'adref- foient pas , portraits perdus , mcprifes qui arrivent pendant la nuit , rencon- tres furprenantes & imprévues ; de ces fortes de jeux ou d'embarras , ils n*ea ont jamais trop. Pour nous , nous les avons aimés pendant quelque temps , & notre goûta changé. Peut-être les Efpagnols, qui à caufe de la contrainte où les femmes vivent chez eux , font plus accoutumés que nous aux aven- tures , ont plus de raifon d'en aimer la repréfentation ; peut-être leur vivacité N iv ÏÇ2 KéFLEXIONS leur fait- elle trouver uniple & facile ec qui efl: pour nous embarrafîé & fati- gant ; peut-être enfin, & c'efl: - là le plus vraifemblable , ne fe plaifent - ils aux Pièces d'intrigue , que faute d'en connoître de meilleures. XXX. Ce qui a le plus nui parmi nous aux Pièces d'intrigue , c'eft que nous en avons vu d'aulTi diverli fiées, & enmcme temps de moins embarrafiées. Compn- rez Héraclius $c Horace. Il y a dans l'un & dans l'autre beaucoup de diver- fité & d'évrncmens ; à peine les per- fonnages font -ils deux Scènes de fuite dans la même fituarion , tout efl tou- jours en mouvement. Mais comment parvient-on à tout le jeu d'Héraclius ? par une longue hifloire de chofes paf- fées avant la Pièce , hiPcoire aflcz diffi- cile à bien retenir, & toujours un peu obfcurc, quoique démêlée avec un art merveilleux. Au contraire, tous les di- vers événemens d'Horace naiflent les uns des autres facilement , & fous les yeux du Speélateur. Héraclius cil à i'Efpagnole , trop intrigué , trop cm- SURLAPoETt(^Ue. 153 barraffé, fatigant ^ Horace eft, fi je l'ofe dire , àlaFrançoiCe, très-diverfîfié, fans fiui Embarras. XXXI. Pour découvrir tout le fecret de dl- verfifier agréablement une action , il ne faudroit que découvrir l'art dont Ho- race eft conduit. Les trois Horaces combattent pour Rome , & les trois Curiaces pour Aibe ; deux Horaces font tués , & le troificme , quoique refté feul , trouve moyen de vaincre les trois Curiaces : voilà ce que THif- toire fournit, & rien n'eft plus fimple. Que l'on examine quels ornemens , Sc combien d'ornemens différens le Poète y a ajoutés; [lus on l'examinera, plus on en fera furpris- Il fait les Horaces & les Curiaces alliés , & prêts à s'al- lier encore. L'un des Horaces a époufé Sabine fœur des Curiaces, & l'un des Curiaces aime Camille fœur des Ho- races. Lorfque le Théâtre s'ouvre , Albe & Rome font en guerre ; & ce jour-là même il fe doit donner une bataille dé- cifive. Sabine fe plaint d'avoir fes frères dans une armée & fon mari dans l'autre. 1^4 Pv É F L E X I O N s & de n'être en état de fe réjouir des fiiC" ces de l'un ni de l'autre parti. Camille efpéroit la paix ce jour-l.^ même , & croyoit de\ oir épou'tr Curiace fur la foi d'un Oracle qui lui avoit été rendu : mais un fonge a renouvelle fer craintes. Cependant Curiace lui vient annoncer que les Chefs d'Albe & de Rome, fur le point de donner la bataille, ont eu horreur de tout le fang qui s'alloit ré- pandre j & ont réfolu de finir cette guerre par un combat de trois contre trois ; qu'en attendant ils ont fait une trêve. Camille reçoit avec tranfport une fi heureufe nouvelle , Ôc Sabine ne doit pas être moins contente. Enfuite les trois Horaces font choifis pour être les Combattans de Rome, & Curiace les félicite de cet honneur, Se fe plaint en même temps de ce qu'il faut que fes beaux-frcrcs périflent , ou qu'Albe , fa Patrie ; foit fujette de Rome. Mais quel redoublement de douleur pour lui , quand il apprend que fes deux frères^ lui font choifis pour être les Combat- tans d'Albe ! Quel trouble recommencé entre tous les perfonnages ! La guerre n'étoit pas fi terrible pour eux; Sabine & Camille font plus alarmées que ja- SUR LA Poétique. 155" mais : il faut que l'une perde ou fon mari ou Tes frères ; l'autre , fes frères ou fon Amant , & cela par les mains les uns des autres. Les Combattans eux- mêmes font émus & attendris ; cepen- dant il faut partir , & ils vont (ur le champ de bataille. Quand les deux ar- mées les voient , elles ne peuvent fouf- frir que des perfonnes fi proches com- battent enfembîe; & l'on fait un facri- fice pour favoir la volonté des Dieux. L'efpérance renaît dans le cœur de Sa- bine ; mais Camille n'augure rien de bon. On leur vient dire qu'il n'y a plus rien à efpérer ; que les Dieux approu- vent le combat, & que les Combattans font aux mains. Nouveau défeipoir , trouble plus grand que jamais. Enfuite vient la nouvelle que deux Horaces font tués, le troifîème en fuite, & les trois Curiaces maîtres du champ de bataille. Camille regrette fes deux frè- res, & a une joie fecrète de ce que fon Amant eft vivant & vainqueur. Sabine, qui ne perd ni (qs frères ni fon mari , eft contente : mais le père des Horaces, uniquement touché de l'intérêt de R.o- me , qui va être fujette d'Albe , & de la honte qui rejaillit fur lui par la fuite 156 Réflexions de Ton fils , jure qu'il le punira de fa lâcheté, de lui ôtera la vie de Tes pro- pres mains ; ce qui redonne une nou- velle inquiétude à Sabine. Mais on ap- porte enfin au vieil Horace une nouvelle toute contraire ; la fuite de Ton fils n'é- toit qu'un firatagéme dont il s'ell fervi pour vaincre les trois Curiaces qui font demeurés morts fijr le champ de ba- taille. Rien n'eft plus admirable que la manière dont cette adion eft menée : on n'en trouvera ni l'original chez les Anciens , ni la copie chez leb Modernes, XXXII. Le fecfet de cette conduite confifte; ce me femble, à couper une adion en autant de parties qu'il y en a qui puif- fent produire différens fentimens dans les perfonnages , foit que ces fentimens foient d'efpèces oppofces, foit que dans la même efpèce les uns aient feulement plus de force que les autres. Faire paf- fer les perfonnagcs de la joie à la dou- leur, de la crainte à l'cfpérance , ou d'une moindre joie , d'une moindre crainte à une plus grande , voilà deux efpèces de contraile. La première eft la plus SUR LA Poétique, ij-y agréable , parce que le contrafte eft plus parfait ; l'autre ne laifle pas aufli de faire de grands effets : mais en gé- néral une Pièce où un même fentiment régneroit toujours, ou du moins pref- que toujours, quoiqu'il allât en fe for- tifiant, plairoit moins que fî el!e étoit mêlée de plufieurs fentimens oppofés. En peinture , les draperies réuÂuTent mieux que nos habits communs, parce qu'elles ont plus de jeu , qu'elles font plus ondoyantes. Ainfi il eft bon que le tiffu de la Tragédie foit , pour ainfi dire, ondoyant, qu'il préfente différentes ùi-^ ces j qu'il ait différens mouvemens, XXXIII. Outre le ccntrafie qui peut être dans les différentes parties de l'adion, celui des caradères des perlonnages contri- bue beaucoup à la variété. Deux figu- res dans un tableau qui ont précifé- ment la même attitude , ne font pas plus vicieufes que deux perfonnages d'une Tragédie qui ont le même ca- raâère. Bérénice , Titus & Antiochus ne font que le même perfonnage fous trois noms différens, Le plus grand Ij8 RÉFLEXIONS contrafle eft entre les efpèces oppofées , comme d'un ambitieux à un Amant , d'un tyran à un Héros : mais on peut 2u(îi dans la même efpèce en trouver un très-agréable. C'eft ainfi qu'Horace ik Curiace, tous deux vertueux, tous deux également poiFédés de l'amour de la Patrie, ne fe reflembîent point dans les lentimens mcme qui leur lont com- muns. L'un a une férocité noble j l'au- tre quelque chofe de plus tendre & de plus humain. Mais il n'appartient pas à tout le monde de ménager du con- trafle entre ce qui fe reffemble. Enfin , lorfque deux perfonnages ne peuvent avoir de différence marquée , il ef): bon du moins de leur donner des raifons particulières pour n'être pas du même avis j ou dans le même mouvement de palîicn. C'eft encore un coup de maître qu'a fait M. Corneille dans Horace. Sabine & Camille ont le même carac- tère 5 6c à-peu-près le même intérêt : mais ordinairement quand Tuneefpère, l'autre craint. Il feroit aufli à propos que les Confidens euffcnt moins de complaifance pour leurs jMaîtres qu'ils n'en ont communéfrient , & qu'ils prif- fent la liberté de les combattre car de SUR LA Poétique, i^^ bonnes raifons. Il faut de l'oppofition de du jeu dans un Dialogue; autrement c'eft un Dialogue où il n'y a qu'une per- fonne qui parle. XXXIV. Les jeux de Théâtre font infinis. Ils comprennent tout ce qui furprend ou le Spedateur , ou quelqu'un des per- fonnages, tout ce qui produit un effet contraire à ce qu'on en attendoit j & il eft vifible que rien ne réveille davan- tage la curiofité. Dans le moment que Cmna rend compte à Emilie de la con- juration dont Maxime èc lui font les Chefs, on lui vient dire qii'Augufte le mande avec Maxime. 11 n'eft pas poflî- ble que Cinna ne fe croie découvert, & que le Spedateur n'attende avec im«. patience ce que lui veut l'Empereur, Quand Cinna & Maxime paroiffent avec l'Empereur, on voit qu'il ne les a mandés que pour dclibéier avec eux s'il quittera l'Empire, Voilà Cinna , Maxi- me & le Spedateur également furpris; & ces traits-îà font merveilleux. Il y a d'autres jeux de Théâtre qui ne trom- pent ou n'étonnent que quelqu'un des i6a Réflexions perfonnages, & non pas le Spectateur. Ainfi Ariane fe conHe à fa fœur qu'ella ne connoît pas pour fa rivale, & le jeu en eft très beau, quoique le Spedaîeur n'y (oit pas trompé. Mais en pareil cas il jouit de l'erreur ou de l'ignorance de l'Adeur, & prévoit avec plaifir la lurprife oi^i il tombera quand il vien- dra à s'éclaircir. Tout bien confîdéré, il femble que la première manière a quelviue chofe de plus parfait. Lss Co- médies font plus fertiles en jeux de Théâtre que les Tragédies, & il y en a de belles qui n'en ont aucun, XXXV. Jufqu'ici nous n'avons envifagé dans l'adion que ce qui peut plaire à l'ef- prit : ce n'eft pas adez , il faut fonger au cœur. Avec toutes les qualités dont' nous avons parlé , elle pourroit être at- tachante : mais il y a encore quelque chofe au - dtlà ; il faut , s'il fe peut , la rendre touchante. On veut être ému , agité ; on veut répandre des larmes. Ce plaihr qu'on prend à pleurer efl: (i bizarre, que je ne puis m'empccher d'y faire réflexion. Se phiroit - on à voir quelqu'un SUR LA Poétique. *i<5i ■quelqu'un que l'on ainieroit , dans une fituation auflî douloureufe que celle où. eft le Cid , après avoir tué le père de fa Maîtrefie ? Non fans doute. Cependant le défefpoir extrême du Cid , le péril où il eft de perdre tout ce qui lui eft le plus cher, plaît par cette raifon rnème que le Cid eft aimé du Spedateur ; d'où vient qu'on eft agréablement touché par le fpecftacîe d'une choie qui affli^^eroit fî elle étoit réelle. XXXVI. ' Le plalfir & la douleur , qui font deux lentimens fi différens , ne différent pas beaucoup dans leur caufe. ïl paroît par l'exemple du chatouillement , que le mouvement du plaifir pouffé un peu trop loin devient douleur , & que le mouvement de la douleur un peu mo- dérée devient plaifir. De -là vient en- core qu'il y a une trifteffe douce & agréable ; c'eft une douleur affoiblle & diminuée. Le cœur aime naturellement à être remué; ainli les objets triftes lui conviennent, & même les objets dou- loureux , pourvu que quelque chofe le^ Tom& JII, O 102 RÉFLEXIONS adoucilTe. Il eft certain qu'au Théâtre la repréfentation fait prefque l'eifct de la réalité ; mais enfin elle ne le fait pas entièrement : quelque entraîné que Ton foit par la force du Speftacle , quelque empire que les fens èc l'imagination prennent fur la raifon , il refte toujours au fond de l'efprit je ne fais quelle idée de la faufleté de ce qu'on voit. Cette idée, quoique foible & envelop- pée, fuffit pour diminuer la douleur de voir foufFrir quelqu'un que Ton aime , & pour réduire cette dou'eur au degré oii elle commence à fe changer en plai- fîr. On pleure les malheurs d'un Héros à qui l'on s'efl: alfedionné , & dans le même moment l'on s'en confole, parce qu'on fait que c'cft une fidion ; & c'efi: juftement de ce mélange de fentimens que fe compofe une douleur agréable, éc des larmes qui font plaifîr. De plus , comme cette afflitfiion , qui eft caufée par Timpreliion des objets fenlibles 8c extérieurs, eft plus forte que la confo- lation qui ne part que d'une réflexion intérieure, ce ibnt les effets & les mar- ques de la douleur qui doivent domineï dans ce compofé. SUR LA Poétique. 165 XXXVII. Les perfonnages qui tirent ces larmes des yeux , doivent être intéreflans de aimables : mais comment les rendre ai- mables & inte'reffans f II fuffit d'abord qu'ils foient malheureux. C'eft un mé- rite aux yeux de toutes les perfonnes fenfibles , que de tomber dans de grands malheurs; de ils attirent naturellement l'afFeiflion , pourvu qu'il n'y ait rien d'ailleurs qui la repoufîè. Le Héros Se l'Héroïne de la Pièce trouvent le Spec- tateur dans une difpofition afiez favo- rable; & pour l'engager à plaindre leurs infortunes , c'efl: afiez qu'ils ne lui dé- plaifent par aucun endroit. X X X V I I L Il faut prendre garde que cette maxime n'eft vraie que des perfonna- ges peu connus par l'Hiftoire , Se dont on n'a pas une idée fort élevée ; ils in- téreffent à peu de frais : tel efl: Antio- chus dans Rodogune. Mais Céfar & Alexandre n'intérefferont point , s'ils ne yempljiïènt l'attente que donnent leurs .Oij l6^ R K F L E X î O N s noms \ & il ne futfit pas que dans le cours de la Pièce on rapporte d'eux de grandes chofes qu'ils ont faites , il faut ■qu'on leur en voie faire dans le cours de la Pièce même. Les Hifioires du pafle touchent peu le Speélateur, qui, pour ainfi dire, n'en croit que fes yeux. De- là vient qu'Alexandre ell fi peu intéref- fant, & fi petit dans îa Pièce qui porte fon nom. On v conte de lui , à la vé- rite, beaucoup de belles choies: mais quand on le voit en perfonne, il n'efb occupé que de l'amour d'une petite, Cléophile que le Spedateur n'eiiime pas beaucoup, Alexandre ne laiffe pas de faire à la lin une adion de générofi- té, en rendant à Porus fes Ecats : mais on ne lui en tient prefque pas de comp- te , parce qu'il ne s'efl: pas attiré juf- jques-là une grande confidération. XXXIX. Souffrir une opprelîion injufl-e , ef- fuyer une ingratitude, une perfidie noi- re , ce font les malheurs qui attirent le plus d'affeélion à ceux qui y font tombés ; & la force qu'ils ont de ga- gner les cœurs eft telle, que Me'di^e, SUR LA Poétique. 1^5 qui a trahi Ton père & Ton pays , qui a déchiré Ton père par morceaux, de- vient aimable & intéredante quand ella eft à Corinthe abandonnée par Jafon, Tout le monde eft dans fon parti , même contre l'innocente Crélife. X L. A plus forte raifon la vertu malheu- reufe doit intérefifer ; mais il faut fa- voir peindre la vertu , & il n'y a gucres que le pinceau deM. Corneille qui y ait réuffi. On ne doit point craindre que tous les caradères vertueux & parfaits ne viennent à fe raflembler, & que tous les Héros de Théâtre ne foient qu'un même Héros. Il eft vrai que toutes les vertus enfemble font dans ces fortes de caradères ; mais elles n'y brillent pas toutes. Il y en a une qui par le fait dont il s'agit , par les circonftances oii eft le Héros , prend le deffus 5 & devient , pour ainfî parler , la vertu du jour. Les autres demeurent dans robfcurité & dans le (Tlence , faute d'occafion; il fufht qu'on ne voie rien qui leur foit oppofé. Que l'on appli- jçuç cçtte réftexion aux Héros 2^ ai^j; 166 Rêtlexions Héroïnes de Corneilie , on les trouvera prefque tous également & différemment vertueux. Ce n'eft point par le mélange des vices ou des défauts qu'il diver(ifie leurs cara(fl:ères , c'eft par les différentes vertus qu'il y fait éclater, X L I. Le perfonnage qu'on veut peindre vertueux , doit être exempt de défauts. Ou l'amour ne paffe pas pour une foi- bleffe , ou c'eft la feule qu'on pardonne aux Héros de Théâtre; encore faut -il qu'ils le facrifient , comme nous avons dit, à de plus nobles fentimens. Il y a de plus une autre remarque à faire ; il faut que les Héros aiment des Héroï- nes, c'eft- à - dire des perfonnes dignes d'eux ; & un des défauts d'Alexandre , c'eft d'aimer cette Cléophile dont le ca- radère eft affez petit. Le Héros eft avili par fon mauvais choix. Au contraire , Sévère dans Polieucie en eft plus grand d'être aimé d'une femme telle que Pau-, line. X L I L Le Héros ne doit jamais avoir tortjj SUR LA Poétique. 1^7 te il faut lui en épargner jufqu'à la moindre apparence. S'il a un mauvais côté, c'eft au Poëte à le cacher , & à peindre Ton vifage de profil. Il faut montrer Alexandre vainqueur de la Ter- re , mais non pas ivrogne & cruel. M. Corneille a péché contre cette rè- gle , quoique d'une manière aflez peu fenfible. Nicomède , dont le caractère eft très - noble & d'une fierté très-ai- mable , brave fans celTe & infulte At- tale Ton jeune frère , & par coniéquent en donne fort mauvaife opinion au Speâateur , qui eft aflez difpofé à fuivre les fentimens du Héros quand il l'ainfie. Cependant à la fin , Attale fait une adion de générofité qui tire Nicomède lui-même d'un grand péril. On eft fâché que Nicomède ait (i mal connu Attale , & qu'il ait eu tant de mépris pour un homme qui le miéri- toit fi peu. De plus , c'eft une efpèce de honte pour Nicomède que d'être tiré d'aftaire par celui dont il faifoit fi peu de cas. II faut compter .que le Speâiateur aime le Héros avec délica- tefle , & que la moindre chofe qui blefife l'idée qu'il en a conçue , lui fait une impreflion défagréable. ^68 RÉFLExioirs X L I I I. Les cara(^ères vertueux & aima- bles fe partagent en deux efpèces : les uns doux , tendres , pleins d'innocen- ce; les autres, nobles, élevés, coura- geux, fiers. On les met tous fur leThéâ- tre dans des fituations douloureufes ; &: les uns , qui font plus feniibles à leurs maux, qui emploient plus de paroles à fe plaindre , attendriflent aifément le Spedateur , & font naître la pitié ; les autres , qui ont dans leurs malheurs autant de courage que de fenfibilité , qui dédaignent de fe plaindre , qui ne caufent que de l'admiration ou ne eau* fent qu'une pitié mêlée d'admiration, une pitié fans larmes , & qui peut être reçue dans les plus grands cœurs. On plaint les premiers ; & quand on s'ap- plique leurs malheurs , on en frémit de crainte. On admire les derniers à tel point, que l'on voudroit prefque avoir leurs malheurs avec leurs fentimens. Andromaque & Cornélie font deux veuves , toutes deux très infortunées , & très - propres à faire fentir la diffé- fence de ces deux elpèces de pitié. Les caradir.es tTJvi LA Poétique. i"6(f ïârâôères doux peuvent intérefier pat un amour tendre & délicat , & leur manière d'aimer leur devient encore un mérite. Tels font Britannicus & Junie , Bajazet & Athalide. Les caractères plus élevés ont auffi une forte d'amour plus élevé 5 & auquel on ne doit pas donner cette mollcffe touchante ; mais ils ont l'avantage que Tadiniration qu'i'.s exci- tent les rend plus aimables que ne fe- roit la pitié même , ou qu'ils exci:ent en même temps & la pitié 3c l'admi-. ration. X L I V. Nicomède efl: opprimi par le cr^^dît de fa belle - mcr^ auprès de Pruiîas , & par Tartificieufe poiitique des Ro- mains. Il ne fe plaint jamais ; jarii-ns il ne cherche à attendrir le Spîc^ateur : mais la fermeté de fon courage , i'in- tré|.-*idité avec laquelle il regai-de la plus grande PuilTance qui fut alors fur la terre , les nobles railleries qu'il eu fait, lu! gagne;-)t plus les cœurs que ne fsroient les plus douloureufes plaintes du monde ; & s'il ne faifoit quelque- fois un peu trop le jeune hommo , ce Torne IIL P IJO . P\ É F L E X r O N s feroit le plus beau caraélèrc qui fût funt 3a Scène. Ce caradère eft naturellement il agréable, qu'il ne laifle pas de plaire lors même qu'il eft vicieux. LadiQas , dans Venceflas , eft impétueux , fou- gueux, violent, témérahe, injuile; ce- pendant avec tous Tes vices il eft aima- ble. Tout ce qui a un air de hardieffe, d'élévation, d'indépendance, flattenatU' relîement notre inclination , qui va ton- purs à donner plus à la force qu'à la jaifon , & au courage qu'à. la pruden- ce. Au contraire , ce qui eO: régulier êc Qge a je ne fais quoi de froid , qui quelq'jefois même peut donner prife au ridicule. Ge n'efî: pas cependant qu'il fallût fouvent hafarder fur le Théâtre de jeunes fous , comm^ Ladiflas : les caractères raifonnables & vertueux font fans doute préférables ; mais il faut leur donner tout ce qu'ils peuvent recevoir de la vigueur & de la chaleur du carac-* tère vicieux de Ladiflas. X L V. Ici fe préfentent afTez naturellement «quelques réflexions fur l'utiiitc de la Tragédie. Je n'ai jamais entendu la 'SUR LA Poétique. 17* |)urgation des paffions par îe moyen des pallions mêmes ; ainfl je n'en dirai rien» Si quelqu'un eft purgé par cette voie- îà , à la bonne heure ; encore ne vois- je pas trop bien à quoi il peut être bon d'être guéri de la pitié. ?vlais il me fem- ble que la plus grande utilité du Théâ- tre eft de rendra la vertu aimable aux hommes , de les accoutumer à s'inté- refler pour elle, de donner ce pli à leur cœur , de leur propofer ce grands exem- ples de fermeté 8c de courage dans leurs malheurs, de fortifier par-là & d'éleven leurs fentimens. 11 s'enu^it d^'i-lè. que non-feulement lî faut des caractères ver- tueux ; mais qu'il les faut vertueux à la manière élûvce & fière de M. Corneille , qu'ils affermiflent le cœur , Se donnent des leçons de courage. D'autres carac- tères vertueux auiîl, mais plus confor- mes à la nature commune , amolliroient l'ame , & feroient prendre au Spectateur une habitude de Bibkfle & d'abatte- ment. Pour l'amour , puifque c'eft un mal néceiTaire , il feroit à fouhalter que îes Pièces de M. Corneille ne l'infpiraf- fent aux Spedateurs que tel qu'elles Iç repréfentenr. lïf^ RÉFLEXIONS X L V I. Nous avons vu que ce qui rend les perfonnages intéreflans, ce font ou leurs malheurs ou leur vertu, & qu'ils le font encore davantage quand ils ont tout en- femble & de grands malheurs & beau- coup de vertu. Mais que feroit-ce fi la vertu même produifoit les malheurs ? Sans doute l'amour du Spedateur iroit encore bien plus loin. Un malheur eft d'autant plus touchant, que celui qui y tombe en efc moins digne. Si Rodrigue, plein de vertu & de générofité com.me il eu, venoit à perdre une Maîtrefle dont il eft aimé, on le plaindroit : mais il la perd , parce qu'il s'eft acquitté de ce qu'il devoit à Ton père. Quelle pitié le Speftateur ne lui doit-il pas .'"Chimène eft dans la même fîtuation : aufli ce fu- jet- là eft-il le plus beau qui ait jamais çté traité. X L V I I. Après les malheurs où l'on tombe par (a propre vertu , les plus touchons font ceux où l'on tombe par le crime SUR LA Poétique. 173^: ou par l'injuftice d'autrui. L'innocence opprimée eft toujours aimable , & Ta- mour qu'on a pour elle eft redoublé par la haine qu'on a pour le perfécuteur. Dans ces fortes de fujgts , on ne fau- roit peindre les tyrans avec des cou- leurs trop noires , puifque l'horreur qu'on a pour eux tourne au profit des Héros. Cléopatre & Néron font aimer Rodogune 3c Britannicus. L'amour de la vertu ou la haine du crime , c'efl: le même fentiment fous deux formes dif- férentes ; Se pour la variété de le con- trafte du Théâtre , il efl: bon qu'il les prenne toutes deux. X L V I I I. II y a encore une forte cîe malheurs touchans ; ce font ceux où le Héros tombe par une foiblefle pardonnable , & la feule que l'on pardonne aux Hé- ros : nous l'avons déjà dit , c'eft l'a- mour. On plaint prefque autant ceux qu'il rend malheureux, que ceux qui le font par leur vertu ; témoin Ariane &: Bérénice : il faut pourtant fe fouve- nir que ces mêmes Speétateurs fi favo- rables à i'amour , feroient bleffés , s'il P iij 1^74 Réflexions triomphoit de quelque fentiment pîuâ noble. Il eft permis à l'amour d'attirer des malheurs aux Héros , mais non p?.s, de la honte. X L I X. Enfin , ceux où l'on ne tombe ni par fa vertu, ni par le crime d'autrui, ni par une foiblefle pardonnable 5 mais par une pure fatalité , comme le malheuc d'CSdipe, paroiilent les moins touchans. Ce n'efl: pas qu'ils ne caufent une cer-i taine horreur ; mais ils n'intéreffent point pour les perfonnes. Que l'on vous conte l'hiftoire d'un homme empoifonnc par celui quîil a comblé de bienfaits, qu'il a choifi dans Ton tedament pouc t,vni iicuîitrr , n qui u uîC encore d53 chofes tendres en mourant, ou que ion vous rapporte la mort d'un homme écrafé d'un coup de foudre , quelles impref- fions vous font ces deux événemens ? Il eft vrai que d'un côté la noirceur de l'ingratitude , de l'autre ce coup de ton- nerre vous font frémir : mais cette af- freufe ingratitude vous met dans les in- térêts de celui qui l'a effuyée , vous le plaignez tendrement i au lieu que Iô SUR LA Poétique. 17/, coup de tonnerre vous laiîTe afiez indif- férent pour celui qui en a été tué; fa perfonne ne vous en devient pas plus chère: vous haïiTez, vous déredez Tem- poifonneur ; mais vous ne haïrez ni ne devez haïr celui qui a envoyé le coup de foudre. Enfin , ce dernier événernenc préfente une idée affreufe dont on di^ tourne Ton imagination le pluj vite que Ton peut ; au lieu que l'autre iliit naître une pitié que l'on entretient dans foi- même avec quelque (orte de complai- fance ; &:, ce qui en eft une marque, c'ell que l'on appuiera volontiers fur toutes les circondances de la mort de cet homme empoifonné , on les fera toutes valoir avec une efpèce de plaiiîr. Il eft aifé de voir que le malhsur û'(S- idipe efl la même chofe qu'un coup gV tonnerre , & qu'il ne doit produire que le même effet. On ne remporte d'Œdipe ôc dcs Pièces qui lui reflembient , qu'une défagréable & inutile conviction des mi- sères de la condition humaine. L. Quand les perfonnages font une fois aimables, ou par leur vertu , ou par P iv "ijS Réflexions leurs malheurs , ou par tous les deux enfemble; quand notre cœur efl: une fois gagné, tout ce qui leur arrive nous touche, leur joie 8c leurs douleurs font les nôtres. Cependant , quelque ten- drefTe que nous ayions pour eux, nous n'aimerions pas à les voir long - temps dans la joie ; & ou peut pendant tout le cours de la Pièce nous les taire voir dans la douleur. Quelle eO: ccite bizar- rerie ? Elle vient apparemment de ce que tous les hom.mt-s font plus fenfibles à la douleur qu'à la joie; î?c comme le Théâtre diminue tous les fentimens'de la manière dont nous l'avons expliqué, ces deux-là étant également diminués , il refte à la douleur encore afièz de force pour nous remuer vivement , & Î! n'en relie pas allez à la joie, Ainil une Scène d'Amans contens doit paflet fort vite; 6c une Scène d'A^mans mal- heureux qui appuient fur toutes les circonHances de leuis malheurs , peut être af^ez 'longue fans ennuyer. Il y. a encore une autre raifon , mais pri(e du côté de refprit. La curiofité n'a plus rien à foire avec des gens heureux ; elle les abandonne , à moins qu'elle n'ait heu de prévoir qu'ils retomberont bieutût SUR L A Po E,T I QUE. I77 dans le malheur , & qu'elle ne folt ap- pliquée à attendre ce paflage. Alors ce contrafte diverfîfie très - agréablement le fpedacle qu'on oîfre à refprit , & les paflîons qui agitent le cœur. L I. Il faut, s'il eft poflible , que les (en- timens qu'on a pour le Héros croifiTent toujours; du moins feroitil infuppor- table qu'ils allaîTent en diminuant. Une foiblefle , quelque légère qu'elle fut dans un caradère qui auroit jufques-îà paru élevé , un moindre péril , un moindre malheur après un plus grand , tout cela ne pourroit cjue déplaire. Le cœur une fois accoutumé à une agitation vive îk. agréable , ne s'accommode plus ni du repos, ni d'une moindre agitation» L I I. Plus le Héros eft aimé , plus il eft convenable de le rendre heureux à la fin. Il ne faut point renvoyer le Spec- tateur avec la douleur de plaindre la deRinée d'un homme vertueux. Après avoir long temps tremblé pour lui, il Ï7S Réflexions eft certsin qu'on fe fent foulage de îe? laliTer hors du péril ; & quoique ce fen- îiment foit réiervé pour la dernière Scène , r'il fe peut, & que le Speda- teur n'en fait touché qu'un moment , ce moment eft de grande importance ; il femble qu'il ait un effet qui retourne fur le refte de la Pièce , quoique déjà pafTée, & qu'il embellifl'e ce qu'on a vu. Il y a un certain ordre qui demande que la vertu foit heureufe , & la Pièce qui l'a blefle jufques-là y doit fatisfaire par fon dénouement. La plus belle le- çon que la Tragédie puifie faire aux hommes , efl: de leur apprendre que la vertu, quoique lono;- temps traverfée, perfécutée, demeure à la fin vidoritufe. L 1 1 r. Une mort volontaire que choifiroît le Héros pour éviter un plus grand malheur , une mort telle que celle de Caton , de Sophonilbe , ou de Gam- ma , ne doit pas être comptée parmi ces dénouemens malheureux qui ren- voient le Speétateur mécontent. Le Hé- ros meurt , il eft vrai , mais il meurt noblement : il fait lui-même fa defti- SUR LA Poétique. 37^ née, on l'admire autant qu'on le plaint ; & quoiqu'il donne un exemple très- mauvais parmi nous , c'ell: un mauvais exemple qui n'eft point dangereux. Les dénouemens défagréables font ceux où le Héros meuft dans l'oppreilion , où I0 crime triomphe de la vertu. L I V. Quoique nous ayions jurqu'ici con- fidéré la Tragédie par rapport à l'efprit & au cœur , nous ne l'avons cepen- dant cônfidérée que par un certain côté ; & pour faire entendre quel il efl:, il faut prendre la chofe d'un peu loin. Suppofons le Contemplateur de Lucien , qui du milieu des airs confi- dère ce qui fe paiî'e parmi les hom- mes ; il ell: certain que cet homme- là s'attacheroit à de certains objets plutôt qu'à û'autres. S'il voyoit quel- que chofe d'important qui fe pafsât en- tre doiS perfonnes confidérables , & d'un caraâère peu commun ; fi dans le tours de cette affaire il n'arrivoit rien qui laifsât languir fa curiofîté , rien au contraire qui ne la réveillât, & qui n- furprit , rien qui n'intérefsât vivemenr iSo Réflexions enfin fi cette acllon avoit toutes les qualités que nous avons jufqu'à pré- lent demandées pour une acftion tra- gique , fans doute le Contemplateur la fiiivroit des yeux plutôt qu'une au- tre 5 fans doute audî elle feroit bonne à repréfenter fur le Théâtre. L v; Mais d'oii vient qu'il pourra s'y trou- ver des chofes qui plairoient à notre Contemplateur imaginaire , & qui dé- plairoient à ceux qui la verraient fur l'j Théâtre f Que dans le moment, par exemple , oii cette aâion cft la plus échaufi-ée , où l'événement en eft le plus incertain , elle fe termine pac quelque chofe d'abfolument imprévu, par un coup de hafard , par une per- fonne qui jufques - là n'y avoit point été méié-i , le Contemplateur verra ce dénouement avec une finprife d'autant plus agréable qu'il s'y fera moins at- tendu ; au contraire , que ce mcme dénouement loit mis fur le Théâtre , il choquera tout le monde. Que quel- qu'un qui aura part à cette action , & qui traverfcra les autres dans ïcut SUR LA Poétique. i8t iddfiein , vienne à changer de penfée & de réfolution , ou par laditude , ou. par inconftance naturelle , le Contem- plateur y prendra pîaifîr. Et quelle am- ple matière de réflexions pour qui ai- meroit à étudier les hommes ! Mais au Théâtre rien ne feroit plus infupporta- ble. Le Contemplateur fe foucieroit-il que Taélion fe pafsât toute dans ua même lieu , & en vingt -quatre heu- res f Nullement ; car nous fuppofons qu'il porteront fa vue par - tout où il lui pîairoit avec une égale facilité ; & que quand l'aétion dureroit plus de vingt - quatre heures , elle tiendroit toujours fa curiofité en haleine. Mais au Théâtre on veut abfolument l'unité de temps de de lieu. Pourquoi cette différence entre le Contemplateur fup- pofé & les Speftateurs qui voient jouer une Tragédie ? Pourquoi ce qui fatif- fait l'un ne fatisfait-il pas aufîî les au- tres ? Pourquoi n'ont -ils pas le même goût ? L V I. Une aélion qui fe pafferoit effeélive- ment fous nos yeux, change un peu de nature quand elle eftmife fur le Théâtre : iSl RÉFLEXIONS c'étoît une chofe réelle , ce n'eft plii^ qu'une reprcfentaîion ; c'étoit pour ainfi dire une produdion de la Na- ture 5 c'efl maintenant un ouvrage de l'Art. Par- là, elle devient lufceptible de nouvelles- beautés & de nouveaux défauts. Nous n'avons encore examiné que les beautés ou les défauts qu'elle pouvoir avoir , prife en elle - même , dans Ion état réel & naturel , teiie qu'elle feroit indépendamment du Tliéâ- ire ; & quoique nous ayons cru que c'eût été un foin inufile & trop gcnant, d'éviter dans tout ce que nous avons dit jufqu'ici lesexpreffions qui ont rap- port au Théâtre , & qui iemblent le fuppofer, nous nous Tommes du moins e:^aâ:ement renfermes dans des idées qui n'y ont point de rapport néccf- Ibire, & qui ne fuppofcnt qu'une ac- tion quife palFerolt aux yeux du Con- templateur de Lucien. Nous allons voir préfentement ce qui lui arrive de nou- veau , parce que c'eft une repréfenta- tion &: un ouvrage de l'Art ; & par ces deux points nous répondrons aux quef- tiens de l'article précédent. s U R L A P O E T I Q U E. 183 L V I I. Puifque c'eft une repréfentation , le vrai n'y eft plus, &: il y faut fuppléer; car , enfin . les hommes veulent du vrai , ou quelque chofe qui en ait l'air. D'a- bord il faut, fi l'on peut, prendre des fujets connus , comme Horace , Pom- pée -, s'ils fi^nt peu connus, qu'ils foient du moins vrais & hifioriques , comme le Cid èc Po!ieu<5le; s'ils ne font ni con- nus ni hiftorlques , qu'ils tiennent du moins à quelque chofe d'hiftorique 8c de connu , comme Héraclius , qui n'a rien de vrai que les noms. On a quel- quefois traité avec fuccès des fujets ab- folument inconnus & fabuleux, comme Timocrate ; mais l'entreprife n'eft pas fans quelque péril. Dans les fujets con- nus , il ne faut rien changer à ce qui efi: extrêmement connu : on doit refpec- ter le gros de l'événement ; mais la ma- nière dont il s'efi: paffé , les motifs qui l'ont produit , les circonRances qui l'ont accompagne, tout cela eft abandonné au Poëîe. Rien n'a (i bonne grâce qu'une Pièce où il a confervé tout ce qui étoit hiftorique , en y ajoutant des chofes îïS4 RÉFLEXIONSt qui y cor.vbiïent. Il femble qu'il n'aîfl fait que remplir les A'uides de THiftoi- re, & nous l'apprendre mieux que nous ne la favions. L Y I i I. Le vrai Se le vraifemblable font afll'Z diftérens. Le vrai eft tbut ce qui eft; le vraifemblabla eft ce que nous jugeons qui peut être , & nous n'en jugeons que par de certaines idées qui réfultent de nos expériences crdinaires. Ainli le vrai a infiniment, plus d'étendue que le vraifemblable , puifjue le vraifembla- ble n'eft qu'une petite portion du vrai, conforme à la plupirt de nos expé- riences. Le vrai n'a pas befoin de preu- ves ; il fuffit qu'il foit , Sz qu'il fe mon- tre. Le vraifemblable en a befoin ; il faut, pour être reçu , qu'il fe rapporte à nos idées com.munes. Incertains que nous fommes , &: avec beaucoup de raifon , fur l'infinie poUibllité des chofès , nous n'admettons poi-r poflibîes que celles qui refl'emblent à ce que nous voyons fouvent.Toutce que verroit notre Con- templateur ferclt vrai, & parla fuFfi- famment prouvé , quelque extraordi- naire SUR L A ? OETTQUE. l8^ naire qu'il ^(n : mais au Théâtre, où tout eft teint , il faut nicenairement que Is vraifcmblable prenne la place du vrai. L I X. l! faut donc conferver exadement îe vraifemblable , tant dans les événe- mens que dans les caraéières, à moins que celui qui en fortiroit ne fut &: €on(fant par THifloire , & extrême- ment connu ; auquel cas le vrai rentre dans fes droits , & encore efl: il péril- leux de montrer ce vrai qui n'cfl pas vraifemblable. Lorfqu'Horace tue Ca- mille, cette cidion déplaît, non-feule- ment par fon extrême barbarie , mais par le peu de vraifemblance qu'il y a qu'un fr^re tue fa fœur pour quelques paroles emportées que lui arrache la douleurd'avoir perdu fon Amant. L'Hif- toire même paroît avoir de la peine à fe charger des vérités peu vraifem- blables ; elle adoucit autani; qu'elle peut les chofes trop bizarres : elle ima- gine des vues & des rooti's propor- tionnés à 11 grand. ur des cvéneaiens & des aâ:ions ; e'ie travaille à rendra les caractères uniformes & fuivis ; & cet Tome IIL Q 1?6 RÉFLEXIONS arrour du vra-femblable la jette très- fouvcnt dans le taux. Il s'en faut bien que la Nature ne loit renfermée dans les petites règks qui tont notre vrai- fen.blable , Ôc qu'elle s'aiTuiettifle aux convenances qu'il nous a plu d'ima- giner : mais c'efl: au Poète à s'y af- fujettir , & à fe tenir dans les bor- nes étroites oii la vraifemblance eft refferrée. L X. Les caraâières une fois établis , dot-^ vent ttre toujours (emblables à eux- mêmes , & le Théâtre n'y admet pas les inégalités & le mélange que la Nature y admettroit. Si l'on fait des caractères bizarres , il taut que cette bizarrerie elle-même ait fa règle & fon uniformité. Du mom.ent que Tef- prit cederoit d'y fentir une certaine fuite , entreroit en défiance de la vé- rité, le Spedateur s'appercevroit qu'il efl: à la~Comédie. Var la même rni- fon , Il les perfonnages ne font pas connus par l'Hiftoire , les caraâ:ères doivent ê re pris fur l'idée que l'on a communément de leur condition , de icur âge , de leur pays , Ôcc. Enfin , SUK LA Poétique. 187 que le Poëte fonge toujours qu'il a le -Spedateur à tromper , & qu'il n'y peut parvenir que par une efpece de com-. plailance pour toutes fes opiiiionsi L X I. Les caradères nobles & élevés font les plus expofés au péril de fortir quel- quefois du vraifemblable. L'excès y eft à craindre, & les Fléros de Corneille ne h en foni pas toujours garantis. C^e n'eft pas qu'il n'y ait un vrailemblable pour les Héros , fort différent de celui qui n'eft que pour les hommes du com- mun : mais entîn ce vraifemblable a fes b-rnes alTcz aifées à fcntir , & très- difficiles à marquer. Sabine déplaît fort dans le fécond Aéle d'Horace, quand elle vient propofer à (on mari & à (oa frère , que l'un des deux la devroit tuer, afin que l'autre la vengeât , & qu'ils devinifent par-là ennemis légitimes. Au contraire , Pauline charme, ravit, quand elle exige de Sévère , qu'elle aime & qu'e le pourroit époufer par la mort de PolieuCle , qu'il fe fervc de tout foa crédit pour obtenir la grâce de Po- lieude qu'elle n'aime pas. De ces deux î88 Réflexions traits, dont l'un & l'autre demandent â& la grandeur d'ame, l'un e{î naturel & très - beau , l'autre ell faux &: infup- portable. Pour découvrir la fourcc de cette différence^ & déterminer en même temps jufqu'où s'étend la générofité bien entendue , il faudrait entrer dans des réflexions troj> particulières à !a Mo- rale. Tout ce que j'en puis dire ici, c'eil qu'une aclion de générofiié , pour 6trs inconteftablement naturelle , doit être produite ou par lefpérance bien fondée d'une gran 'e gloire; ou ce qui tft du moins aufii puiflant dans les belles âmes » par une crainte délicate de quelque lé- ger déshonneur; ou enfin par un ex- trême amour de la vertu , plus rare en- core & pliis noble que ces deux motifs* Sabine n'efl: dans aucun de ces trois cas ; .elle n'acquiert aucune gloire , elle n'é- vite aucun déshonneur, elle nefaitriea pour la vertu. Pauline au contraire tait toutes ces trois eliofes à la fois. A la vérité, le mépris que Sabine marque pour la vie a l'air ncble : mais dans la manière dont elle veut mourir, elle ne propcfe aucune vue raifonnable. La pro- pofîîion qu'elle iu t a. encore u:i grand inconvénient, ç'cfl q^u'cUenepeutjaaiais s U R L A P O E T I Q U E. I 8> ctre acceptée ni de fon mari, ni de fort frère ; i)c rien n'a plus mauvaile graca que des offres généreufes & hardies faites (ans périi. C'eft peut-ctre en par- tie ce ridicu.'e qui a bann? Tincienne coutume des Amans de Théâtre , qui dans leur défeCpoir préfentoient leur épée à leurs MaitrefiTes , & les prioient à genoux de la leur palfer à travers d\X corps» L X I I. A l'égard des événemens comme â Tcgar J des caracieres, il y a dejx for- tes de vraiiemblable : Fun ordinaire , fimpîe ; l'autre extraordinaire , fingu- lier, tel que ce'ui des avenrures de Ro- icans , qui lont à la vérité polfibles , mais qui n'arrivent' jamais. Le imguliec dans les caradères e'à excel ent fur le Théâtre : mais pour les événemens , c'efi autre cKoie. Le fingufier-, du moins le. fîngulicr romanefque, ne convient pas bien à la Tragédie :. c'tfr qu'elle vifè plus au cœur qu'à l'efprit ; elle aima mieux toucher par les caractères & pae les fentimens qu'ils produilcnt, que fur- prendre. par des aventures imprévues i. ipo Réflexions &. ces aventures mcme auroient îe dé- faut à l'ei^^ara de re'prit , de l'avertie trop de la hétlon. Y a î il rijn fur la Scène de plus étonnant, de plus pro- pre à exciter la curiofi é , que Timo- crate , qui efl; en mêvne temps a la tête' des deux armées ennemies , & qui eft nommé our combattre contre lui- même ? Mais c'eft - là du ronianefque tout pur, & qui fe doniie trop pour ce qu'il cfl. Un trait, non pas tour-à- fait de cette efpece , mais un peu har- di, unique dans 'a Pièce, placé à p-o- pos , ne laidèroit pas de réunir. Mais pour l'ordinaire il faut des événemens fimples qui produifent des (entimens vib. Il t:[l n->eme très agréable c'y m.é- nager dus (urprifes : mais el'es do vent naître de la di(pofîtion des p-rfonna- gcs , plutôt que de la bizarrerie des aventures, L X I I r. PuiTi^ue la fondion du vraifcmbla- ble c'a' s la Tragédie eft d'empêcher l'efprit de j'anpercevoir de la feinte , le vrailemblable qui le tronpe le mieux eft le plus parlait , & c\fl celui quj SUR LA Poétique, t 9 r devient nécefiaire. Un caractère étant Tuppolé , & étant vraiuimbiable tel qu'il eO: fuppofé, il y a des effets qu'il doit néceflairement produire , ôc d'au- tres qu'il peut produire ou ne produire pas. Un Prince fage ne peut négliger l'avis a'une conjuration qui fe traiTie contre lui : mais il peut par dirljrentes vues de poliriqLe ou la pudonner, 011 la punir. Si dans le caractère du Prince le choix de cqs deux partis q{\ indiffé- rent, celui auquel le Poëte le derermi- nera ne fati^fera pas pleinement les Speélaterrs. Il eft vrai qu'ils ne con- damneront pas le parti quM aura pris; mais ils ne (auront pourquoi iî l'a pré- féré : ils n'en verront point d'autre rai- fon que le befoin de la Pièce ; & c'eft ee qu'il ne leur £uit jamais faire fen- tir. Ainfi la clémence d'Augufte pour Cinna , quoique vraitemblabie , feroit très - vicit^ufe 5 parce qu'elle n'eft pas plis vraifemb'able que la rigueur qui lui efl: oppofée. IVIais , ce qui la jufîi- fie entièrement , elle eft hiflorique & vraie. Il n'y a guères d'apparence que des fcélérats , tels que la Cléopatre de Rodogune , & le Mathan d'Athalie , aient dts Contideps , à qui ils décou- Xp2 RÉFLEXiaNS vrent fans aucun dégulfement , & fatîS une néceflité abfolue , ic déLcftabk fond de leur ame, L X I V, La perfedion efl de faire agir les pci'ibnnages , de manière qu'ils n'aient pas pu agir autrement : leur caraftère luppolé , ti ceite nécelaté qu'empor- tent les caractères pour les réioluri,)ns & pour les partis , n'exclut pas les déli- bérations & les combats, qui (ont les plus beaux jeux du Théâtre; au con- traire , ces combats & ces délibérati nis même deviennent néce^aires. Rodri- gue étant ardemment amoureux , 6c pailionné pour la g'oi e, il efl: d'une égale néc^lîité , 6i qu*i! foit violem- ment combattu par îvs intérêts de fon amour , avant que d'attaqier le père de Chi.iiène , & qu'à la fin fa gloire l'emporte. Quand 1-e parti que pren- nent les perionnages n'eft pas îout-à- fait ncceiïaire , il faut du moins que dans leur caradère il ait quelque avan- tage fur tous les autres. La vaiîem- blance qui fe change en nécellité ne perm.ei au Spedateur aucune incerti- tude fur là ycricé de ce q[u'il voit i mais i) SUR LA PoETTQltE. TÇji il en découvre trop aifément la ficiion au travers d'une vraiiemblance foible & douteufe. L X V. Cette néceflité que nous fouhaitons n'eft que pour les événemens produits par les caradères des perfonnages ; les autres événemens de la Pièce ne doivent ni ne peuvent être fujets à cette loi. Qu'une nouvelle arrive dans un temps ou pans un autre , qu'un combat dure plus ou moins , qu'un poifon agifl'e quelques momens plutôt ou plus tard, tout cela efl: purement fortuit, &: de nature à l'être toujours; & alors le Poëte eft en liberté de ne confulter que fes intérêts, & de choiiîr ce qui l'accomanode , fans être obligé à rendre compte de fon choix. Il n'y a aucune néceffité qu'Augufte mande Cinna , juftement dans le temps qu'il eft avec Emilie , ôc qu'il l'inftruit de l'état ou eft la conjuration. Il étoit aufli vraiferablabie que Tordre arrivât dans un autre temps; mais il fuffit qu'il puifle arriver dans celui-là. Le Speda- Tome IIL R IP4 Réflexions teur efl: afTez équitable pour ne de- mander de la nécellité qu'aux événe- inehs qui partent d'une caufe qui auroit pu les rendre nécefTaires. L X V I. Dans l'exade vraifemblance de la re- prcfentation a'une aâion , (ont com- prifcs les deux circonllances de temps »3<: de lieu. Nous avons vu qu'il ferait fore indiitérent au Contemplateur de Lucien , que l'action fe palsât toute dans un même lieu , & en vingt-quatre heures: mais quand cette même action eft fur le Théâtre , il eft fans doute à fouhaiter qu'elle ne dure en t-Ue-méme qu'autant de temps que (a repréienta- îion occupe les yeux du Spedateur , & qu'elle fe pafîe toutq, dans le lieu ou le Spedateur a éié d'abord tranfporté. Autrement , fi on le promenoit d'un lieu en un autre , ou li on lui vouloic perfuader qu'il a vu en deux heures ce qui ne s'efl paiTé qu'en un an, il recon- noîtroit fans peine l'illufionj de le char- me fe dilTiperoit. Voilà ce qui s'appelle l'unité de temps & celle de lieu ; & à les prendre dans leur grar.de perfeétion , !§UR LA Poétique, i^^ ratTtlon de la Tragédie ne doit durer que deux heures, & toutes les Scènes fe doivent pafTer précifément dans le même lieu où la première s'eft pafTée. Si les fujets font fufceptibles de cette perfeéHon , à la bonne heure ; finon , il faut ne s'en écarter que le moins qu'il eft pofîîble , & fe confoler de ne la pouvoir attraper , fur ce qu'elle n'eft pas en elle-même fort importante. Ne nous paflons - nous pas fans peine de l'unité de lieu dans tous les Opéra, & de l'unité de temps , j'entends l'unité exade, dans prefque toutes les Tragé- dies ? L X V I I. La règle des vingt-quatre heures n'efi: point une règle; c'cfl une extenfion fa- vorable de la véritable règle, qui n'ac- corde à l'aétion de la Tragédie que la durée de fa repréfentation. Mais pour- quoi cette extenfion va- t- elle fi loin que vingt- quatre heures j ou pourquoi ne va -t -elle pas plus loin ? Fixation purement arbitraire , 8c qui ne doit avoir nulle autorité. Cependant la rè- gle des vingt -quatre htures efl: la plus Rij 'IC6 P».éFLEXIONS généralement connue de toutes cellei du Thiâtre, mcme ;a plus refpecftée , & celle qui dans le temps que les rè- gles reparur. nt au monde , fortit la première des ténèbres de l'oubli. Elle peut fervir d'exemple de la Facilité qu'ont les hommes à recevoir des maximes qu'ils n'entendent point , Si à s'y attacher de tout le cœur, L X V I I I. Il femble que l'unité de temps doive être plus importante que celle de lieu. On vient à un Spedacle , prévenu que ce qu'on va voir (e pafle dans un autre lieu que celui où l'on eft : la décora- tion du Théâtre aide à cette illul'on ; quand elle change, nous croyons fans peine que les Aâieurs ont aulll changé de lieu : Ô: comme nous n'avons ja- rnais cru être avec eux , ce font eux que l'on tranfporte & non pas nous. Mais à l'égard du temps , nous n'arri* vons point , perluadés que ce que nous verrons fe palfera dans un temps plus long que celui que nous mettrons à le voir; rien ne nous met dans cette erT reur , & la durée de deux heures efit SUR LA Poétique, i P7 néceffairement la mefure de ce qui fe fait fous nos yeux pendant ce temps-là. Cependant l'unité de Heu , quoique peut - être un peu moins importante , eft plus obfervée que celle de temps. Il eft plus aifé de mettre tous les perfon- rages , non pas , à la ve'rité , dans le même appartement , mais dans le même Palais, que de renfermer en deux heu- res un grand événement. L X I X. Quand ces deux unités ne peuvent s*accorder avec la conftitution natu- relle des fujets , il faut empêcher le Speâateur de s'appercevoir qu'elles y manquent, & détourner fon attention des circonftances du temps & du lieu. Ce qui eft feulement à obferver , c'eft que chaque Ade (e doit palier exade- inent dans un même lieu , & en aufii peu de temos que fa repréfentation dure : mais il les perfonnages changent de lieu , s'il arrive quelque chofe qui tienne plus de temps que la repréfen- tation , tout cela doit erre jette entre deux Acfes, Ce vuide eft un temps de grâce dont les Spectateurs ne deman^ R iij 'I9S RéFLEXIONS dent pas compte à la rigueur. II ne dure: que quelques minutes , & on vous le pafle pour plufîeurs heures , quelque- fois pour une nuit entière. Par la même raifon , quand on veut ménager des changemens de lieu , il les faut mettre dans cet intervalle à la faveur du peu d'attention que le Spediateur y apporte» L X X. Nous nous fommes propofé de con- fîdérer la Tragédie , non - feulement comme repréfentation , mais comme ouvrage de l'Art ; & en cette qualité , elle peut encore avoir Se des beautés &c des défauts. La feule idée de l'adrefiTe de l'Art ou du manque d'Art embellit eut gâte les mêmes chofes , qui n'ont d'elles- mêmes ni beauté ni délasirément. Peu de gens font réflexion , par exemple , pourquoi les rimes, qui font une partie de l'agrément des Vers, font infuppor- tables dans la Profe ? pourquoi la plus belle période du monde eft défigurée par la chute de deux membres qui ri- ment. Avons-nous d'autres oreilles pour la Profe que pour les Vers ? D'où peut venir cette différence f La raifon on eft SUR LA Poétique. îpp que les rimes font dans les Vers une difficulté qu'il a failu furmonter avec Art , &: dans la Profe ce n'eH: qu'une négligence qu'on n'a pas pris la peins d'éviter. Elles plaifent fous l'une de ces formes , & déplùifent fous l'autre. li eft donc vrai que la feule idée de Ja difficulté donne de l'agrément aux rimes, qui naturellement n'en ont au- cun , & qu'on aime à voir que l'Art tienne le Poëte en contrainte. D'an au- tre côté, ce qui paroît un effet delà contrainte de l'Art eft déra;^réable ; ua Vers fupportable en lui-même, que la Profe auroit pu recevoir, mais dont on voit que la principale fonction eA de ri- mer, ne manque point de s'attirer des railleries. Tout cela femble affez bizar- re : on aime les rimes pour leur diffi- culté; on n'aime point ce que produit la difficulté des rimes. ÏI faut que l'Art fe montre ; car fi l'on ignoroit que la rime eft affedée, elle ne feroit nul plai- fir,& peut-être même choqueroit-elle par fon uniformité. Il faut que l'Art fe cache ; & dès qu'on s'apperçoit de ce qui eft affedé pour la rime, on en eft: dégoûté. Voilà une belle matière pour une de ces queftions où le Dour & le R iv 200 Réflexions contre paroifTent également vrais , faut* d'être bien entendus. L X X I. On fait affez ce qui fait la beauté naturelle du difcours ; ceft la juftefTe Se la vivacité des penfées , l'heureux choix des exprcflion? , &:c. A tout cela l'Art de la Pocfle ajoute fans aucune néceflité, fans aucun befoin pris dans la chofe, les rimes & les mefures. Les voilà devenues une beauté par ce feul caprice de l'Art , i^ par la feule raifon qu'elles gêneront le Pocte , & que l'on fera bien - aife de voir comment il s'en tirera. Si cette nouvelle fujétion fait dire au Poëte des chofes forcées ou inutiles, comme elles font contraires à la beauté naturelle du difcours , on en efl: plus choqué que l'on n'efl: touché de ce qu'il a fatiffait à la contrainte de la rime. Mais fi malgré cette contrain- te, il pen!e ck s'exprime aulli bien que s'il eût été entièrement libre; alors, au pi ifir naturel que fait la beauté du difcours, (e joint le plaifîr artificiel de voir que la contrainte n'a rien gâté. L'Art eft un tyran qui fe plaît à gêner SUR LA Poétique. 20î fes fujets , & qui ne veut pas qu'ils pa- roiffent gênés ; & je me fouviens fur cela des Maldives , où les Rois avoient pouffé le raffinement de U tyrannie juf- qu'à établir que c'étoit un crime d'Etat de paroitre trifle. Il faut que ceux qui ne fauroient pas que le Focte a été obligé de rimer , ne s'en apperçoivent pas ; &r que ceux qui le favent , foient furpris de ne pas s'en appercevoir. L X X I I. Tout cela eft aifé à appliquer à la Tragédie, Qu'un, adion (oit en eiie- TTiême attachante & intéreilante , que la repréfentatlon en ait toute la vrai- femblance poilible , ce n'eft pas aOcz*, l'Art lui impofe encore de nouvelles loix. De ces loix, les unes for.t pure- ment arbitraires, comme la rime dans les Vers ; les autres ont quelque fonde- ment. Que toute aMI DISCOURS 5^iî L^ PATIENCE, QUI A REMPORTÉ Z, E PPvIX D'ÉLOQUENCE /^^il ZE JUGEMENT DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE, En r Année i68p. ^^^M'. u EL QUE peu d'ufage que l^^liH ^'^^"'^^^ ^^^^ ^"^ ^2S lumiè- 1^^^^ res pour s'étudier foi-méme, ^^•^^g^'^'^^ il découvre les foiblefles & les déri^^. mens dont il eft rempli; auflî- tôt fa r^iion cherche à y remédier, tou- chée naturellement d'un defir de per- fedion qui lui relie de l'ancienne gran- deur où elle s'cfl vue élevés. Mais que •265 Discours peut-elle maintenant, incertaine, aveu- gle, pleine d'erreurs, digne elle -même d'être comptée pour une des misères de l'homme ? Elle ne fait que combattre des défauts par des défauts, ou guérir des pallions par des pallions ; & les vains rem.cdes qu'elle fournit font d^s maux d'autant plus grands & plus incurables, qu'elle eft intéreflée à ne les plus recon- noître pour des maux , de qu'elle s'eft féduite elle-mcme en leur faveur. En vain pendant plufieurs (iccles la Grèce, Il fertile en efprirs fubûls , cu- rieux & inquiets , produifit ces Sages qui fai(oient une profelîion téméraire d'enfeigner à leurs Difcip'es l'art de vi- vre heureux, & de fe rendre plus par- faits ; en vain la diverlué infinie de leurs fentimens , qui fera à jamais la honte des toibles lumières naturelles , épuifa tout ce que la xaifon humaine pouvoit pour les hommes : l'effet dm plus grands efforts de la Philofophie ne fut que de changer les vices que pro- duit la nature corrompue , en de fluiffes vertus , qui étoient , s'il fe peut , des marques encore plus certaines de cor- ruption. Un homme du commun où ignore, ou reconnoît fes défauts avec affez SUR LA Patience. 2op affez de {implicite, pour les rendre en quelque forte excufables ; au lieu qu'un Philofophe Payen , fier d'avoir acquis les {lens à force de méditation & d'é- tude , leur donnoit tous fes appîaudif- femens. Ces défordres que la raifon humaine cauloit dans la Grèce , oii elle régnoit avec toute la hauteur dont elle ert ca- pable quand elle vient à fe méconnoî- tre , les leçons trompeufjs qu'elle en- voyoit de- là chez tous les Peuples du monde , qui ne les recevoient qu'avec trop de docillré , ne furent pas fans doute les moindres motifs qui invitèrent la raifon éternelle à defcendre fijr la terre. Si d'iin côté chez les Juifs les iameufes femaines de D:^niel qui expi- roient , & le fceptre de Juda qui avoit pafie dans des mains étrangères , preC- ix)ient le Libérateur (i long temps pro- mis & attendu ; il eft certain que d'un autre côté les Grecs livrés jufques-là à des erreurs orgueilleufes, & à une igno- rance contente d'elle-même , deman- doient également le Melîie par leurs befoins , quoiqu'ils ne fufient pas en droit de l'attendre. Dieu le devoit aux To;;2e UL S 210 Discours uns pour dégager fa paro!e tant de fols donnée par la bouche de fes Prophètes; & il le devoit aux autres pour fatisfaire à fa bonté , qui ne les pouvoit foufFrit plus long temps dans les égaremens de leur fagelfe. Il failoit aux uns un Mo- narque qui s'établit un enipire tout di- vin fur les Nations, un Grand -Prêtre qui leur enfeignât les véritables facritî- ' ces ; à: il failoit aux autres un Sage dont ils n çuflent des préceptes folides , un Maître qui leur apportât toutes les con- noiflances après lefquelles ils foupiroient depuis 11 long-temps. Il parut donc enfin parmi les hom- mes , ce Meflie h ardemment défiré d'un feul Peuple, & fî néceffaire à tous. Alors les idées & du vrai & du bien nous fu- rent révélées fans obfcurité & fans nua- ges; alors ditparurent tous ces fantômes de vertus qu'avoit enfantés l'imagina- tion des Philofophes ; alors des remè- des tout divins furent appliqués avec eîïicace à tous les maux qui nous fonc naturels. Arrêtons nos yeux en particulier fur quelqu'un des effets que produifît la nouvelle Loi annoncée par Jefus-ChriO:, L'impatience dans les maux eft peut-: SUR LA Patience. 211 être un des vices auxquels la Nature nous porte, & le plus généralement , & avec le plus de force; & il n'y a point de vertu à laquelle la Philofophie ait plus afpiré qu'à la patience, ians doute parce qu'il n'y en a aucune ni plus né- cefTaire à la malheureufe con^.ition des hommes , ni plus capable d'attirer une diftinétion glorieufe à ceux qui auroient pu l'acquérir. Cette impatience de la Nature, & la faufi'e patience de la Phi- lofophie, nous ferviront d'exemples de i'heureux renouvellement qui fe fit alors dans rUnivers. Voyons comment la vé- ritable patience , inconnue jufques -là fur la terre , prit la place de Tune 8c de l'autre. N'ayons point de honte d'en- vifager de près & d'étudier nos misères ; cette vue , cette étude fervira à nous convaincre des bienfaits du Rédempteur. PREMIER POINT. Quel eft ce mouvement impétueux de notre ame qui s'irrite contre les maux qu'elle endure , & qui s'agite comme pour en fecouer le joug ? Pourquoi tâ- cher à les repoulfer loin de nous par dQS efforts violeiis , dont nous fentons Sij 212 Discours en même temps rimpuiOance ? Pour- quoi prendre à partie , ou des aftres qui n'ont en aucune forte contribué à nos malheurs, ou une fortune & des dfcftins qui n'ont point d'être hors de notre imagination ? Que veulent dire ces plaintes adreflées à mille objets dont elles ne peuvent être écoutées ? Que veut dire cette efpèce de fureur où nous entrons contre nous- mêmes, moins fondée encore que tous ces au- tres emportemens ? Soulageons - nous nos maux ou les redoublons - nous ? Malheureux, û nous n'avons que des moyens (i faux &■ ii peu raifonnables pour les foulager 1 infenfés , fi nous les redoublons ! Mais quel fujet d'en douter? II n'efl: que trop sur que nous redoublons nos maux. Cet effort que nous faifons pour arracher le trait qui nous bleffe , l'enfonce encore davan- tage : l'âme fe déchire elle-même par cette nouvelle agitation ; & le mou- vement extraordinaire où elle fe met excitant fa fenfibiliré , donne plui; de prife fur elle à la douleur qui la tour- ■ mente. (Cependant ni la honte àc fuivrc des 'mouvenTicns déréglés , ni la crainte SUR LA PATrENCE. 213' d'augmeiuer les fentimens de nos maux, ne répriment en nous rimpaticnce. On s'y abandonne d'autant plus facilen^ent, que la voix lecrète de notre conf.ience ne nous la reproche pre(que pas , & qu'il n'y a point dans ces emportemens une injiiflice évidente qui nous frappe & qui nous en donne de l'horreur. Au contraire , il femble que le mal que nous fouffrons nous juftifie ; il femble qu'il nous difpenle poiir quel- que temps de la nécelllté d'être rai- fonnables. N'emploie- 1- on pas même quelque forte d'art pour s'excufer de ce défaut , & pour s'y livr:;r fans fcrupule ? Ne fe déguife-t-on pas fou- vent l'impatience fous le nom plus doux de vivacité ? Il efl vrai qu'elle marque toujours une ame vaincue par fes maux , & contrainte de leur céder : mais il y a des malheurs auxquels les hommes approuvent que Ton (oit fen- lîble ji'l]u'à l'excès , &: des événemens où ils s'imaginent que l'on peut avec b enféance manquer de force, de s'ou- blier entièrement. C'efl: alors qu'il eft permis d'aller jufqu'à fe faire un mé- rite de l'impatience, & que l'on ne re- nonce pas à en êire applaudi. Qui l'eût 2-14 DiSCOUKS cru, que ce qui porte le plus le carac- tère de peritelie de courage put jamais devenir un fondement de vanité ? La Religion feule pouvoit remédier à un détaut il enraciné dans la Nature, & quelquefois autorifé par nos faufles opi- nions. Elle nous apprend, pour étouf- fer en nous l'impatience toujours nui- fible & in(enfée , que nous fommes tous pécheurs ; que nous devons une expiation à la juftice divine; que tous les maux que nous fommes capables de foufFrir, nous les avons mérités. Quelle étrange confolation , à en juger félon les premières idées qui fe prélentent î Quoi ! nous ne ferons pas feulement malheureux , nous ferons encore obli- gés de nous croire coupables ? nous perdrons jufqu'au droit de nous plain- dre ? nos foupirs ne pourront plus être innocens f encore un coup, quelle étrange ccnlolation ! C'en eft une c-pendant , & foîide & efficace. Quelque trilles que paroilfent quelquefois les vérités qui nous vien- nent du Ciel , elles n'en viennent que pour notre bonheur & notre repos. Un Chrétien , vivement perfuadé qu'il mé- rite les maux qu'il fouifre , cil: bien I SUR LA Patience. 21^ éloigné de les redoubler par des mou- vemens d'impatience. Il eft jufle que la révolte de notre ame contre des dou- leurs dues à nos péchés , foit punie par l'augmentation de ces douleurs mê- mes : mais on fe l'épargne en fe fouraet- tant fans murmure au châtiment que l'on reçoit. Ce n'eft pas que les Chré- tiens cherchent à fouffrir moins ; c'eft que d'ordinaire les actions de vertu ont des récompenfes naturelles qui en font inféparables. On ne peut être dans une fainte difpofition à fouffrir, que l'on ne diminue la rigueur des fouffrances. On ne peut y conlentir fans les foulager ; & lorfque nous nous rangeons contre nous-mêmes du parti de la juftice divi- ne, on peut dire que nous affoiblifTons en quelque forte le pouvoir qu'elle au- roit contre nous. Faut il que je mette aufîi au nombre des motifs de patience que la Religion nous enfe'gne , les biens éternels qu'elle nous apprend à mériter par le bon ufage de nos maux ? Sont - ce véritablement des maux , que ks moyens d'acquérir ces biens céledes qui ne pourront ja- mais nous être ravis ? Souffre-t-on en- core quand on les envifage ? & leuï ù,i6 Discours idée laiffe-t-elU dans notre ame quel-» que place à des douleurs & toibîes ôc paflagcres ? Ah ! il femble qu'ils nous empêchent bien plutôt de les fentir , qu'ils ne nous aident à les endurer. Tel a e'té l'art de la bonté de Dieu,que dans les punitions mêmes que fa colère nous envoie , elle a trouvé moyen de nous y ménager une fource d'un bon- heur infini. Recevons avec une fou- million (incère de il juftes punitions , & elles deviendront aulfi-tot des fujets de récompenle. Nous n'aurons pas feu- lement effacé nos crimes , nous aurons acquis un droit à la fo.iveraine félicité. Aveuglement de la Nature , lumières célcfK's de la Religion , que vous êtes contraires ! La Nature par iis mouve- mens défordonnés augmente nos dou- leurs , & la Religion les met , pour ainlî dire, à profit par la patience qu'elle nou^ infpire. Si nous en croyon: Tune , nous ajoutons à des maux neceffaires un mal volontaire ; & (i nous fuivons les inftructions de l'autre , nous tirons de ces maux nécefl.iires les plus grands de tous les biens. Aulli la patience chrétienne n'efl- elle pas ung fimple patience ; c'eO; un vcrit.ble SUR LA Patience. 217 véritable amour des douleurs. Si on ne portoit pas fa vue dans cette éternité de bonheur dont elles nous alTurent la jouiiïànce , on fe borneroit à les rece- voir fans murmure , comme des châti- mens dont on eft digne par Tes péchés: mais dès que l'on regarde le prix infini dont elles font payées , on ne peut plus que les recevoir avec joie comme des grâces dont on eft indigne. De- là naiilbient ces merveilles dont les An- nales des Chrétiens font remplies; cette tranquillité dont les Ssints ont joui au milieu même des plus âpres tourmens; cette égalité parfaite qu'ils ont toujours- vue entre les biens & les maux : que dis - je , égalité ? cette préférence qu'ils ont toujours donnée aux maux fur les biens ; ces heureux excès de patience qu'ils ont pouflés jufqu'à ofer appeller fur eux les maux que la main de Dieu leur refufoit. Quel fpedacle fut-ce pour le monde corrompu , que la naiHance du Chriiliia- nifme ! On voit paroître tout à-coup 3c fe répandre dans l'Univers d^s hommes qui difconviennent d'avec tous les au- tres fur les principes les plus communs ; Tome ni. T 2iS Discours des hommes qui rejettent tout ce qui eH: recherché avec le plus d'ardeur, 6c qui ont un amour fmccre pour tout ce que les autres fuient. Les plaintes font un langage qui leur efl inconnu , fi ce n'efl: dans la profpérité. lis ne fe contentent pas d'avoir au milieu des malheurs une conftance inébranlable ; ils ont une joie qui va fouvent jufqu'à des tranfports : s'ils ne s'offrent pas d'eux - mêmes aux tourmens & à la mort j ils fe contraignent ; la cruauté de leurs ennemis (e méprend cternel- Jement : on ne leur donne pour fup- plices que ce qu'ils fouhaitent. Quels lont ces prodiges , dévoient dire les Payens ? Quel eO: ce renverfement ? Les biens & les maux ont-ils changé de nature ? Les hommes en ont -ils chi^ngé eux-mêmes ? Cet étonnement fut fans ckoute d'autant plus grand, que l'on voyoit les Philofophes , qui juf- ques-là avoient paru être en pofleiiion de toutes les vertus & des vérités , confondus & dans leur fpéculstion , & dans leur pratique , par de nouveaux rhilofophes incomparablement plus par- faits. Ce furent ces derniers Sages , ou plutôt ce fut leur Maître céleflc qui i SUR LA Patience, iip détruHit les TaufTes efpèccs de patiences établies par des Sages trompeurs , & plus vicieufcs peut-être que l'impatience naturelle aux hommes qui n'ont que leurs paillons pour guides. SECOND POINT. Jamais la ralfon humaine n'a fait éclater tant d'orgueil , & n'a lailfé voir tant d'impuifiance, que dans la Sede des Stoïciens. Ces Philofophes entre- prirent de peiTuader aux hommes que leur propre corps étoit pour eux quel- que choie d'étranger , dont les intérêts leur dévoient être indifrérens , & que les douleurs qui affligeoient ce corps étoient ignorées par le Sage , qui fe retranchoit entièrement dans la partie fpiritueîle de lui-même. Ainfi le Stoï- cien regardoit les maux avec dédain , comme des ennemis incapables de lui nuire ; &: il fe paroit d'une patience faftueufe, fondée lur l'impallibilicé dont fa Seéle le flattoit. Souffrir avec conf- tance eût été quelque chofe de trop humain; il ne fouffroit point, fembla- ble à Jupiter mcme ^ dont il n'avoit Tij 2 20 UlSCOURS lieu d'envier ^ni les perfedlons ni le bonheur. Jufqu'oii vous égarez -vous, foibles efprits des hommes , quand vous èits jibandonnés à vous -mêmes ? Quoi ! il s'agit de loulager les bleliares que nous recevons, nous en gém.inons; & on n'y trouve point d'autre remède que de nous foutenir que nous fomraes invul- nérables ? Trop heureux encore fi nous pouvions entrer dans cette iliufion , & en profiter ! mais ii ces vaines idées élèvent pour quelques momens & en- flent rimagination féduitç y on eft aufli- tôt rappelle au fentlment de les maux par la Nature plus forte ôc plus puif- îante; & fi l'opiniâtreté du parti dont on a fait choix maintient encore dans l'efprit cette (uperbe fpéculation , le coeur qui foudre la dément & la con- damne. Quand ce Stoïcien , preflé par la douleur d'une maladie violente , s'é- criojt, en s'adrelTant a elle ; Je n'avouerai pourtant pas que tu fois un mal ; cet effort qu'il faifoit pour ne le pas avouer, ce défaveu même apparent , n'étoit-ce pas un aveu & le plus fort U le plus linccre qui pût jamais être? SUR LA Patience. 22 1 Loin du ChrKuanirme une erreur il contraire aux fentimens naturels, & un orgueil (1 indigne d'une raifon éclairée ! La patience des Chrétiens n'efl: point fondée fur ce qu'ils s'imaginent être au- dcffus des douleurs ; i!s fouffrent , ils avouent qu'ils fouftrent : mais la fou- inilîion qu'ils ont pour celui qui les fait jufternsnt fouffrir , mais le prix quî efl: propofé à leurs foufFrances produit cette confrance , ce calme , cette joie qui ont fi foi: vent arraché à leurs per- iécuteurs de l'admiration & du vcfpeâi. Ils ne retiennent point leurs plaintes & leurs géniiffemens par la crainte de déshonorer le parti qu'ils font profef^ (ion de fuivre; mais la divine Religion qu'ils fuivent prévient en eux les plain- tes & les géniiffemens par les (àintes penfées dont elle les rem;plit. Ils font tels au-dedans d'eux-mêmes, que les Stoïciens avoient beaucoup de peine à paroître au-dehors tranquilles & vain- queurs de la douleur qu'ils endurent. Ils: font, ce que toute la Phiîofophie elle-i même ne fauroit afTez admirer , aufÏÏ fenfibles que tous les autres hommes à toutes les misères humaines , plus Tiij 0.12 Discours fatisfaits nu milieu des pius grandes mi- sères , que i,'ils étoient les plus heureux des hommes. Il n'y a rien oii la patience éclate av€c plus d'avantage que dans les in- jures. Un Stoïcien ofifenfé ne confervoit un exte'rieur pailible, que parce qu'il s'clevoit aufii - tôt dans ibn cœur au- deiius de celui qui l'avoit offenfé , & quelquefois même par un fuperbe jugement ofoit la dégrader de la qua- lité d'homme ; infulte qu'on fait fans danger à fon ennemi , VQngeance im- puiflante qui ne laiffe pas de confoler l'orgueil. Un Chrétien fe met dans fon cœur au-deflbus de tous les hommes ; & cependant il a au milieu des outrages une héroïque tranquillité qui le met au-deîTus de fes ennemis. Innocent &: heureux artifice que la grâce nous en- feigne I lans prendre une Herté mal fon- dée, fans affeder une fauffe infenfibi- lité, nous n'avons qu'à nous humilier ious la main du Créateur pour ctre Tupérieurs aux créatures : nous n'avons qu'à la refpcéler dans les indrumens qu'elle emploie , pour être à l'épreuve des plus rudes coups que les hommes SUR LA Patience. 225 pulifent nous porter. II n'y en a poinc qui n'aient- afl-jz dt: pouvoir pour nous faire fouffrir; mais il n'y en a point qui en aient aP/ez pour troubler notre re- pos. Lorfque leurs bras font tournés contre nous , un bras plus puiiTant qui les fait agir fe montre aux yeux de notre 'foi, tient nos douleurs dans le refpeâ: , & réprime toute l'agitation qu'elles produiroient dans notre ame,' Les injuftices que nous avons à ef- fuyer ne fe repréfentent plus à nous comme des événemens qui partent de la méchanceté des hommes , 3c qui doivent exciter en nous de la haine & de l'indignation : nous remontons plus haut; & d'une vue plus éclairée nous découvrons que ces mêmes évé- nemens nous viennent du Ciel , de comme de jufles châtimens qui de- mandent de la foumilîîon , & comme des fujets de mérite qui demandent des actions de grâces. Ce n'étoit pas ainfî qu'en jugeoient la plupart de Philofophes , perfuadés que toutes chofes étoient gouvernées par une fatalité aveugle , immuable , nécefl'aire , de îaquciie partoicrit in- T iv 22^ Discours différemment & les biens & les mauX', Il eft vrai qu'ils fe foumettoient à elle dans les malheurs, Si quelquefois avec aiféz de rcfolution : mais quelle étoit cette efpèce de patience ? Une patience d'Efcîaves attache's à leur chaîne , & fujets à tous les caprices d'un Maître impitoyable; une patience qui n'étant fondée que fur l'inutilité de la révol- te , arrête durement les mouvemens de l'ame; & au lieu de la confoler , y laiffe un chagrin fo mbre & farouche : en un mot, un défefnoir un peu rai- fonné , plutôt qu'une vraie patience. Grâces à notre augufte Religion , nous favons que nous ne dépendons point id'un deftin aveugle, qui nous emporte & nous entraîne invinciblement. Nos malheurs ne viennent point de l'arran- gement fortuit de ce qui nous envi- ronne : une intelligence éternelle non moins puifl'ante que le paroiflbit aux Philofophes leur fatalité imaginaire , mais de plus fouverainement fage , prélïde à tout. Ce bras dont nous ref- fentons les coups , efl: un bras qui nous diftribue les maux mêmes félon nos be- foins & félon nos forces, qui, à propre- SUR LA Patience. 225 ment parler, ne nous envoie que des biens ; c'eft le bras d'un père : nous fouffrons comme des enfans , sûrs de la bonté de celui qui nous fait fouffrir , & non point comme des Efclaves adu- jettis à toutes les rigueurs les plus bizar- zes & les plus cruelles : ce n'eft point l'inutilité delà révolte qui nous arrête, c'en eft rinjuftice; & notre patience eft une véritable foumiffion d'efprit qui répand dans le coeur une confolation prefque aulfi douce , fi je l'ofe dire, que la JouifTance même du bien. Tels font les effets que produifit chez les Chrétiens le divin exemple de patience qui leur fut propofé îorrquô le Jufte ; le (eul Jufte nui l'ait été ja- mais par lui-même , fe vit fur le point d'expier les péchés du genre humain. Abandonné de toute la Nature , hor- mis de quelques Difciples , qui n'avoient plus que peu d'inftans à lui être fidè- les , frappé de l'affreufe idée d'un fup- plice également honteux & cruel qui lui étoit deftiné , il s'adreiTe à fon Père célefîe ; il lui demande que , s'il eft pofiîble , les tourmens qu'il envifage lui fuient épargnés : & un fouhait que 22<5 Discours la grandeur de Tes tourmens , déjà pré- fens à fes yeux , rendoit fi Icgitime , un fouhait plus légitime encore par Tin- nocence de celui qui le faifoit , un fouhait oii la modération éclate juf- ques dans les termes qui l'expriment, eft cependant réprimé dans le même moment par une foumilîîon entière de fans réferve aux delkins de Dieu. Que ta volonté foit faite , dit Jefus - Chriil: à Ion Pcre : ^ quelle volonté i Combien favoit-il qu'elle étoit févère & rigou- reufe à fon égard ! Il fe voyoit livré à la Juftice irritée; il voyoit la bonté en- tièrement fufpendue : cependant , pour faîisuiire aux devoirs de l'ob-iitTance d'un fils , il foufcrit à (a propre di(- grace ; & Ion unique foulagcment au milieu de fes douleurs les plus vives , eft détourner les yeux fur la m^in dont il les reçoit. Il loupira encore fur la Croix ; il fe plaignit d'avoir été abandonné de fon Père : mais il ne murmuroit pas de cette extrême rigueur; il nous marquoit feu- lement combien il y étoit (cnlible. Les Philofophes prétcndoient à une impaf- fibilité 5 qui dans l'état où nous lommes SUR LA Patience. 227 ne peut s'accorder avec la nature hu- maine , & Jefus- Chrift ne voulut pas jouir de celle qu'il eût pu recevoir de fa divinité. Il fouffrit les plus cruels fupplices pour laifier un exemple qui convînt à des hommes néceflairement lujets à la douleur. Il prit toute no- tre fenfibilité pour nous porter avec plus de force à Timitation de fa pa- tience. Infpirez-nous , Verbe incarné , cette vertu héroïque fi éloignée de la corrup- tion qui nous efl: devenue^naturelle , de de la fauiTe perFedion à laquelle la Phi- lofophie aTpiroit. Daignez nous inftruire dans la fcience defouttrir ; fcience toute célefle , & qui n'appartient qu'à vos Dif- cipies. Tout le cours de votre vie nous en donne d'admirables leçons : mais comment les mettre en pratique fans le fecours de votre grâce ? C'eft vous feul fur qui nous pouvons prendre une véri- table idée des vertus; & c'eft vous feul encore de qui nous pouvons recevoir la force de les fuivre. Vous qui êtes la rai- fon & la fagefle de votre adorable Père, devenez aufli la nôtre pour régler les çmportemens auxquels la nature s'aban- 1 ziS Discours, S:c. donne dans les alllidions. Ne permet- tez, Segneur, à votre jultice de les faire tomber fur nous , que quand vous aurez mis dans notre ame les difpofitions néccHaires pour en pro- fiter ; Se ne nous envoyez tous les maux dont nous Tommes dignes , qu'en nous donnant en même temps un courage vraiment Chrétien, 229 DE L'EXISTENCE DE DIEU. i i A Métaphyfîque fournit des preu- ves fort folides de i'exiftence de Dieu : mais comme il n'ell: pas poilible qu'elles ne foient fubtiles , & qu'elles ne rou- lent fur dts idées un peu fines , elles en deviennent fnTpedes à la plupart des gens qui croient que tout ce qui n'eil pas fenfible & palpable, elt chimérique & purement imaginaire. J'en ai beau- coup vu pouffes à bout fur cette ma- tière par des preuves de Mctaphyfique; mais nullement perfuadcs , parce qu'ils avoient toujours dans la têie qu'on les trom.poit par quelque fubtilité cachée. Il y a lieu d'efpérer que ceux qui font de ce caractère goûteront un raifonne- ment de Phyfique fort clair, fort in- telligible & fondé fur des idées très- familières à tout le monde : on en vanteroit un peu aufii la folidité & la force , fi on ne croyoit pas l'avoir inventé. 2^o De l'Existence Les animaux ne fe perpétuent que par la voie de la génération : mais il faut néceliairement que les deux pre- miers de chaque efpèce aient été pro- duits ou par la rencontre fortuite des parties de la matière, ou par la volonté d'un Etre in';elligent qui difpofe la ma- tière félon fes deiTeins. Si la rencontre lortuite des parties de la matière a produit les premiers animaux , je demaiule pourquoi elle n'en pioduit plus ? ôc ce n'eft que fur ce point que roule tout mon raifon- nement. On ne trouvera pas d'abord grande difficulté à répondre que loif- que la terre fe forma , comme elle étoic remplie d'atomes vifs Ôc agiiTans , im- prégnée de la même matière fubcile dont les adres venoient d'ctre formés, en un mot jeune »5c vigoureufe , elle put erre affez féconde pour poutlèr^ liors d'elle-mcme toutes les différentes efpèces d'animaux ; & qu'aprcs cette première produdion quidépendoit de tant' de rencontres lieureufes Se fingu- licres, fa fécondité a bien pu fe perdre & s cpuifer ; que, par exemple , on voit tous les jours quelque-; marais nouvel- lement delTéchés , qui ont toute une DE Dieu. 251 autre force pour produire que cin- quante ans après qu'ils ont été la- bourés. Mais j€ prétends que quand la terre , félon ce qu'on iurpofe, a produit les animaux, elle a dà être dans le même état où elle eft préfentement. Il eft certain que la terre n'a pu produire les animaux que quand elle a écc en état de les nourrir ; ou du moins il eft certain que ceux qui ont été la pre- mière tige des elpcces n'ont été pro- duits par la terre que dans un temps oij ils ont pu auHi en être nourris. Or, afin que la terre nourriife les ani- maux , il faut qu'elle leur fourniiTe beaucoup d'herbes différentes; il faut qu'elle leur fournifle des eaux douces qu'ils puiiTent boire; il faut même que l'air ait un certain degré de fluidité 5c de chaleur, Se de pefanteur, pour con- venir également à tous ces animaujc , dont la vie a des rapports alTez con- nus à toutes ces qualités. Du moment que Ton me donne la terre couverte de toutes les efpèces d'herbes néceffairespour la fubfiltance âts animaux , arroiée de fontaines .xlus du bonheur , & il ne leur refle pour reffources que des plaifirs , c'ell-à-dire des momens femés çà & là fur un fond trille qui en fera un peu égayé. Les hommes dans ces momens Du B 0 N H E tJ II. 245 tlÈprennent les forces nécefiaires à leiic malheureufe fituation , Z< fe remon- tent pour fouffrir. Celui qui voudroit fixer fon ctat, non par la crainte d'être pis, mais parce qu'il feroit content , mcriteroit le nom d'heureux : on le reconnoîtroit entre tous les autres hommes à une efpèce d'immobilité dans fa fituation-, il n'a- giroit que pour s'y conferver, ôc non pas pour en fortir. Mais cet homme-là a-t-il paru en quelque endroit de la terre ? On en pourroit douter , parce qu'on ne s'apperçoit guères de ceux qui font dans cette immobilité fortu- née ; au lieu que les mialheureux quî s'agitent compofent le tourbillon du monde , ôc fe font bien fentir les uns aux autres par les chocs violens qu'ils fe donnent. Le repos même de l'heu- reux y s'il eft apperçu, peut paffer pour être forcé , Ôc tous les autres fontj intérelTés à n'en pas prendre une idée plus avantageufe. Ainli i'exiflence de l'homme heureux pourroit être aflez facilement conteflce. Admettons-la ce- pendant , ne fût-ce que pour nous don- ner des efpérances agréables : mais il il eft vrai que , retenus dans de certaines Xij 244- ^ ^' B O N K E U R. bornes, elles ne feront pas chimérî-^ ques. Quoi qu'en difent les fiers Stoïciens ,- une grande partie de notre bonheur ne dépend pas de nous. Si l'un d'eux , preiTé par la goutte , lui a dit : Je na- M oiur aï pourtant pas que tu fois un mal ; il a dit la plus extrava,2;ante parole qui foit jamais fortie de la bouche d un Philofophe. Un Empereur de TUni- vers , enfermé aux Petites ~ Maifons , déclare naïvement un fentiment dont il a le malheur d'ctre plein; celui-ci, par engagement de ryflême , nie un fentiment très-vif, & en même temps Tavoue par Tefiort qu'il fait pour le nier. N'ajourons pas à tous les maux que la Nature & la Fortune peuvent nous envoyer , la ridicule & inutile vanité de iîous croire invuîiiérables. Il feroit moins dcraifonnable de fe perfuader que notre bonheur ne dé- pend point du tout de nous ; & pref- que tous les hommes ou le croient, ou agilTeîît comme s'ils le croyoient. Incapables de difcernement & de choix , pouffes par une impétuoHté aveu2;le, attirés par des objets qu'ils ne voient qtfau traveis de mille nua- Du ÎÎONHÉUK. 24,jf ^ts , entraînes les uns par les autres fans favoir où ils vont, ils compol'ent une multitude confufe & tumultueufe , qui fembie n'avoir d'autre defiein que de s'agiter fans celle. Si, dans tout ce défordre , des rencontres {'avorables peuvent en rendre quelques-uns Iieureux pour quelques momens , à la boniie heure : mais il eft bien sûr qu'ils ne fauront ni prévenir ni modérer le choc de tout ce qui peut les rendre malheu- reux. Ils font abfblument à la merci du hafard. Nous pouvons quelque chofe à no- tre bonheur , mais ce n'efl: que par nos façons de penfer i Se il faut convenir que cette condition e(l allez dure. La plupart ne penfent que comme il plaît à tout ce qui les environne; ils n'ont pas un certain gouvernail qui leur puifle fervir à tourner leurs penfces d'un autre côté qu'elles n'ont été ponf- {ées par le courant. Les autres ont des penfées fi fortement plices vers le mau- x'ais côté, & fi inflexibles 5 qu'il feroit inutile de les vouloir tourner d'un au^ tre. Enfin quelques-uns à qui ce travail pourroit réuffir , ôc feroit mcrne aflez facile, le rejettent, parce que c'eft un X iij 245 Du Bonheur. travail, & en dédaignent le fruit qu'ik croient trop médiocre. Que feroit-ce que ce miférable bonheur factice pour lequel il faudroit tant raifonner ? Vaut- il la peine qu'on s'en tourmente ? Orî peut le laifler aux Philofophes avec leurs autres chimères : tant d'étude pour être heureux empêcheroit de l'être. Ainfi il n'y a qu'une partie de notre bonheur qui puiffe dépendre de nous ; Se de cette petite partie , peu de gens en ont la difpofition , ou en tirent le profit. Il faut que les caraélères ou foi- bles & parefleux., ou impétueux & vio- lens, ou fombres & chagrins , y renon- cent tous. Il en refte quelques-uns doux & modérés , & qui admettent plus volontiers les idées ou les impreûlons agréables : ceux-là peuvent travailler utilement à fe rendre heureux. Il ell vrai que par la faveur de la Nature ils le font déjà allez , & que le fecours de la Philofophie ne paroît pas leur être fort néceflaire : mais il n'eft prefque jamais que pour ceux qui en ont le moins de befoin; & ils ne laîflentpas d'en fentir l'importance,: lur-tout quand. il s'agit du bonheur , ce n'eft pas à nous de rien néij:lif'-er. Ecoutons donc o o Bu BONHEUE. 247 îa Philofophie qui prêche dans le défère une petite troupe d'auditeurs qu'elle a c'ioifis, parce qu'ils favoient déjà une bonne partie de ce qu'elle peut leuE apprendre. Ann que le fentiment du bonheur puifle entrer dans l'ame, ou du moins afin qu'il y puilTe féjourner , il fauc avoir nettoyé la place, & chaffé tous les maux imaginaires. Nous fommes d'une habileté infinie à en créer ; ôc 3uand nous les avons une fois pro- uits, il nous eft très diPncile de nous en défaire. Souvent même il fembîe que nous aimions notre malheureux 'ouvrage , ôc que nous nous y compiai- iîons. Les maux im.aginaires ne font pas tous ceux qui n'ont rien de cor- porel , & ne font que dans l'efprit ; mais feulement ceux* qui tirent leur origine de quelque façon de penfen fauile , ou du moins problématique. Ce n'efl pas un mal imaginaire que le déshonneur ; mais c'en efî: un que la dculeur de laiifer de grands biens après fa mort à des héritiers en ligne collatérale & non pas en ligne dire(5î:e, ou à dts filies , âc non pas à des fils. Il y a tel homme dont la vie efl: em- X iv 248 Du BONHEUE, £oironnce par un femblable chagrin. e bonheur n'habite point dans des têtes de cette trempe; il iui en faut ou qui fuient naturellement plus faines , ou qui aient eu le courage de fe gué- rir. Si i'on ctt. fufceptibîe des maux imaginaiies, il y en a tant , qu'on fera nécelTairement la \ roie de quelqu'un. La principale force de ces fortes de nionftres confiée en ce qu'on s'y foumet , fans ofer ni les attaquer , ni même les envilager : li on les conCi- déroit quelque temps d'un oeil fixe, ils feroieut à demi vaincus. Allez louvenc aux maux réels nous ajoutons des ciiconHances imaginaires qui les ag'iravent. Qu'un mai heur ait quelque chofe c!e (ingulier, non-feule- menî ce qiul a de réel nous affirge ^' mais fa fin;;ulafité nous irrite & nous aigrit. Nous nous rcprcfentons une fortune , un deflin , je ne fais quoi , qui met de l'art 6: de l'efprit à nous faire un niaiheur a une nature particu- lière. Mais qu'ed: ■• ce que ton: cela? Employons un peu noire raifon , ôc ces fantômes dilparoifient. Un mal- heur commun n'en ell pas réellement moindre s un malheur fingulier n'en efl: Bu BONHIUR. 245) pas moins ponTibîe, ni moins inévita- ble. Un homme qui a la pede, lui cent millième , etl-il moins à plaindre que celui qui a une maladie bizarre & in- connue ? ^ Il eft vrai que les malheurs com- muns font prévus ; & cela ieul nous adoucit ridée de la mort , le plus grand de tous les maux. Mais qui jîous empêche de prévoir en général ce que nous appelions les maux fin- guHers ? On ne peut pas prédire les comètes comnie les cclipfes : mais on efl: bien sûr que de temps en temps il doit paroître des comiètes ; Se il n'en faut pas davantai^e pour n'en être pas effrayé, Lçs malheurs finguliers font rares ; ceDendan»- il faut s'attendre à en efTuyer queîqu\]n : il n'y a pre/cjue perfonne qui n'ait eu le fien ; & li on vouloit , on leur contefleroit avec adez de raifon leur qualité de fingulier. Une circonflance imaginaire qu'il nous plaît d'ajouter à nos affli(flions , c'efl de croire que nous ferons incon- folables. Ce n'efl pas que cette perfua- fion là même ne foit quelquefois une efpèce de douceur Se de confolation ; elle en eft une dans les douleurs dont ayo Du Bonheur. on peut tirer gloire, comnie dans celîè que l'on reiïent de la perte d'un ami» Alors fe croire inconfolable , c eft fe rendre témoignage que l'on elî: tendre, fidèle , confiant ■■, c'ell: fe donner de grandes louanges. Mais dans les maux où la vanité ne foutient point l'afflic- tion , Se où une douleur éternelle ns feroit d'aucun mérite, gardons -nous bien de croire qu'elle doive être éter- nelle. Nous ne ibmmes pas allez par- faits pour être toujours affligés : notre nature eft trop variable , & cette im- perfection eft une de Tes plus grandes reffources. Ainfi , avant que les maux arrivent, il faut les prévoir , du moins en gé- néral; quand ils font arrivés j il faut prévoir que 1 on s en conlolera. L'un rompt la première violence du coup, l'autre abrège la durée du fentiment: on s'eft attendu à ce que Ton fouftre; & du moins on s'épargne par-là une impatience, une révolte fecrète qui ne fert qu'à aigrir la douleur: on s'attend a ne fouffrir pas long-temps; & dès- lors on anticipe en quelque forte fuc ce temps qui fera plus heureux , on l'avance. Du Bonheur. 2^t . Les circonftances même réelles de nos maux, nous prenons plaifir à nous les faire valoir à nous-mêmes , à nous les étaler , comme fi nous demandions raifon à quelque Juge d'un tort qui nous eût été fait. Nous augmentons le mal en y appuyant trop notre vue , & en recherchant avec tant de foin tout ce qui peut le groiïîr. On a pour les violentes douleurs je ne fais quelle complaifance qui s'op- pofe aux remèdes , & repoufle la con- îblation. Le confolateur le plus tendre paroît un indifférent qui déplaît. Nou-s voudrions que tout ce qui nous appro- che prît le fentiment qui nous pofsède ; Ôc n'en être pas plein comme nous , c'efl nous faire une efpèce d'offenfe : fur-tout ceux qui ont i àuuâcê uè côltî- battre les motifs de notre affliction , font nos ennemis déclarés. Ne de- vrions-nous pas au contraire être ravis qu2 l'on nous fît foupçonner de fauf- fêté & d'erreur des façons de penfer qui nous caufent tant de tourmens ? Enfin, quoiqu'il foit fort étrange de l'avancer , il efl vrai cependant que nous avons un certain amour pour la douleur, ôc que dans quelques carac- ^ Jl Du BoNHFUK. tères il eft invincible. Le premier pas vers le bonheur feroii de s'en défaire , & de retrancher à notre imagination tous fes talens malfaifans , ou du moins de la tenir pour fort fufpede. Ceux qui ne peuvent douter qu'As îVaienî toujours une vue faire de tout , font incurables :^ il efl bien Julie qu'une moindre opinion de foi-méme ait quel- quefois fa récompenfe. N'y auroit-il point moyen de tirer des chofes plus de bien que de mal, Se de^difpofer fon imagination, de forte qu'elle féparât les plaifirs d'avec les chagrins, & De laifsât pafTer que les plaifirs î Cette propofition ne le cède gucres en difficulté à la Pierre philo- fonha'e; & fi on la ceut exécuter -» ne peut être qu'avec le plus heureux naturel du monde , & tout l'art de la Philofophie. Songeons que la plupart àes chofes font d'une nature très dou- teufe ; & que quoiqu'elles nous frap- pent bien vite comme biens ou comme niaux , nous ne fiivons pas trop au vrai ce qu'elles font. Tel événement vous a paru d'abord un £;rand mal- heur, que vous auriez été bien fâché dans la fuite qui ne fût pas arrive ; Qur attraper plus de coups de mouf-' 2(^4 ^ ^-^ Bonheur, quel ? Celui qui veut être heureux fè réduit & fe reflerre autant qu il e(i pof- fible. Il a ces deux caractères; il change peu de place , & en tient peu. Le plus grand fecret pour le bon- heur , c'ed d'être bien avec foi. Natu- rellement tous les accidens fâcheux qui viennent du dehors , nous rejettent vers nous mêmes , & il efl bon d'y avoir uuQ retraite agréable ; mais elle ne peut Têtre fi elle n'a été préparée par les mains de la Vertu. Toute l'indul- gence de Tamour- propre n'empêche point qu'on n^ fe reproche du moins une partie de ce qu'on a à fe repro- cher : & combien efl-on encore trou- blé par le foin humiliant de fe cacher atrx autres, par la crainte d'être connu, par le chagrin inévitable de l'être ? On fe fuit , Se avec raifon : il n'y a que le vertueux qui puiiïe fe voir Se fe reconnoître. Je ne dis pas qu'il ren - tre en lui-même pour s'admirer & pour s'applaudir: & le pourroit-i!, quelque vertueux qu'il fût ? Mais comme on s'aime toujours adez, il fufîît d'y pou- voir rentier fans honte pour y rentrée avec plaifir. II peut fort bien arriver que la Vertu Du B o N H E tr K. i6<^ Vertu ne conduire ni à la richeffe ni à Télévation , & qu'au contraire elle en exclue : fes ennemis glu de grands avantages fur elle par rapport à l ac- ouiiîùon de ces fortes de biens. Il peut encore arriver que la gloire , fa ré- compenfe la plus naturelle , lui man- que : peut être s'en privera-t-elle elle- même; du moins, en ne la recherchant pas , liafardera-t-elle d'en être privée. Mais une récompeufe infaillible pour elle , c'efl: la fatisfadion intérieure. Chaque devoir rempli en eli payé dans le moment : on peut fans orgueil ap- peller à foi-même des injultices de la Fortune; on s'en confole par le témoi- gnage légitime qu'on fe rend de ne les avoir pas méritées; on trouve dans fa propre raifon V dans fa droiture un plus grand fond di bonheur que les autres n'en atien lent des caprices du hafard. Il rerte un fo iha't à faire fur une chofe dont Oii uQii pas le maître, car nous n'avons pirlé que de celles qui étoient en notre difpohtion ; c'eft d'être placé par h Fortune dans une condition médiocre. Sans ce'a . Se le bonheur & la vertu feroient trop eit. Tome III» Z l 266 Dtr Boî^HEUï^. péril. C'eft-!à cette médiocrité fi re- commandée par les Philorophes , (i ciiantée par les Poètes , & quelquefois fi peu recherchée par eux tous. Je conviens qu'il manque à ce bon- heur une chofe qui , félon les façons de penfer communes , y feroit cepen- dant bien néceff^ire ; il n'a nul éclat. L'heureux que nous fuppofons ne paf- feroit guères pour Têtre •■, il n'auroit pas le plaiiir d'être envié : il y a plus; peut-être lui-même auroit-il de la peine à fe croire heureux , faute de l'être cru par les autres ; car leur jaloufie ferc à nous allurer de notre état , tant nos idées font chancelantes fur tout , ôc ont befoin d'être appuyées. Mais en- fin, pour peu que cet heureux fe com- pare à ceux que le vulgaire croiroic plus heureux que lui , il fentira facile- ment IcS avantages de fa fituation ; il fe refondra volontiers à jouir d'un bonheur modefte & ignoré , dont l'éta- lage n'infultera perfonne : (es plaifirs , comme ceux des Amans difcrets , fe- ront afl'aifonnés du myftcre. Après tout cela, ce fage , ce ver- tueux , cet heureux efl: toujours un homniCi il n'eii point arrivé à un état Du B o N H E xj k; 2157 inébranlable que la condition humaine ne comporte point ; il peut tout per- dre , & même par fa faute. 11 confer- vera d'autant mieux la fagefle ou fa vertu , qu'il s'y fiera moins ; & fon bonheur, qu'il s'en afiurera moins. ^m ^"^mt"^ Zij Ji x^ Z)£cî FABLES. N nous a fî fort accoutu- més pendant notre enfance aux Fables des Grecs, que quand nous fommes en état de raifonner, nous ne nous avJions plus de les trouver aufil étonnantes qu'elles le foiu. Mais fi l'on vient à fe défaire des yeux de l'habi- tude, il ne fe peut qu'on ne foit épou- vanté de voir toute l'ancienne Hif- toire d'un Peuple, qui n'eft qu'un amas de chimères, de rêveries ôc d'abfurdi- tés. Seroit-il poilible qu'on eût donné tout cda pour vrai ? A quel defiein nous i'auro't-on donné pour faux? Quel auroit écé cet amour des hom- mes pour des faiiiletés manifefles 3c ridicules. Se pourquoi ne dureroit-il plus ? Car les Fables des Grecs n'é- toient pas comme nos Romans qu'on De l'Origine des Fables. 269 nous donne pour ce qu'ils font, 6c non pas pour des Hidoires ; il n'y a point d'autres Hilloiies anciennes que les Fables. EclairciiTons , s'il fe peut, cette matière; étudions l'erprit humain dans une de Tes plus étranges produc- tions : c'e(l:-là bien fouvent qu'il fe donne le mieux à connoître. Dans les preniiers fiècles du monde, & chez les Nations qui n'avoient point: entendu parier des traditions de la fa- mille de Seih , ou qiii ne les confer- vèrent pas, Tignorance 5: la barbarie durent être à un excès que nous na fomines prefque plus en état de nous reprcfenter. Figurons nous les Carres» les Lappons ou les Iroq.uois; & même prenons garde que ces Peuples étant déjà anciens , ils ont dû parvenir à quelque degré de connoiiTance & de politede que les premiers liommes n'avoient pas. A m.efure que Ton efl plus ignorant. Se que Ton a moins d'expérience, on voit plus de prodiges. Les premiers hommes en virent donc beaucoup ; Se comm.e naturellement les pères con- tent à leurs en fans ce qu'ils 0:it vu & ce qu'ils ont fait, ce ne furent.que pio- Z iij 270 De l' Origine diges dans les récits de ces temps-îà* Quand nous racontons quelque choie de iurprenant, notre imagina- tion s'échauiïe fur Ton objet, 6c le por- te d'elle même à l'agrandir & à y ajou- ter ce qui y manqueroit pour le rendre tout-à-iait merveilleux, comme fi elle avoir regret de laill'er une belle chofe imparfaite. De plus , on efl: flatté des lentimens de furprife & d'admiration que Ton caufe à fes auditeurs , ôc on t(ï bien aife de les augmenter encore, parce qu'il femble qu'il en revient je ne lais quoi à notre vanité. Ces deîjx raifons jointes enfemble, font que tel homme qui n'a point deiTein de men- tir ^11 commençant un récit un peu extraordinaire^ pourra néanmoins fe Au'prendre lui-même en menfonge, s'il y prend bkn garde; &. de-là vient que l'on â bffoin d'une efpèce d'eirort, Se (l'une anention parnculière pour ne dire exadenienr qu"; la vérité. Que fcra-ce sprcs cela de ceu>r qui naturel- lement aiment à inventer ôc à innporer aux auties ? Les récits que les premiers hommes firent à leurs enfans , étant donc fou* veut faux on eux-mèa:ies, parce qu'ils DES Fables. 271 étoient faits par des gens fujets à voie bien des choies qui n'étoienc pas , Se pardeffus cela ayant été exagérés, ou de bonne foi, feion que nous venons de rexpliquer, ou de mauvaife foi , il eft clair que les voilà dvfjà bien gâtés dès leur fource. Mais affurément ce fera encore bien pis quand ils palTeront de bouche en bouche; chacun en ôœ- ra quelque petit trait de vrai , & y eu mettra quelqu'un de faux , ôc principa- lement du faux merveilleux qui efl: le plus agréable ; Ôc peut-être qu'après un iiècle ou deux , non-feulement il n'y refiera rien du peu de vrai qui y croie d'abord , mais même il n'y reliera guère de chofe du premier faux. Croira-t-on ce que je vais dire ? Il y a eu de la Philofophie même dans ces fiècles grofiiers , & elle a beaucoup fervi à la nailTance des Fables. Les liomnies qui ont un peu plus de génie que les autres , font naturellemetit por- tC9 à rechercher la caufe de ce qu'ils voient. D où peut venir ceîte rivière qui coule toujours, a du dire un con- templatif de ces Hècles - là f étrange forte de Philofophe, mais qui aaroic peut -eue été un Defcartes dans ce ^ IV 272 De l' Origine fiècle-ci. Après une longue mcditatîonj il a trouvé fort heureufemenc qu'il y avoit quelqu'un qui avoit loin d:^ ver- fer toujours cette eau de dedans une cruche. Mais qui lui fourniffoit tou- jours cette eau? Le contemplatif n'al- Joitpas fi loin. Il faut prendre garde que ces idces, qui peuvent ctre appellces les fyftemes de ces temps-là, étoient toujours co- piées d'après les chofes les plus cou- nues. On avoit vu fouvent verler de l'eau de dedans une cruche : on imagi- noit donc fort bien comment un Dieu verfoit celle d'une rivière; & par la fa- cilité même qu'on avoit à l'imaginef , on croit tout-à-fait porté à le croire. Ainfi , pour rendre raifon des tonner- res & des foudres, on fe repréfentoît volontiers un Dieu de figure luimaine lançant fur nous des flèches de feu ; idée manifeflement prife fur des objets très -familiers. Cette Phîlofophie des premiers llè- cles rouloiî fur un principe fi naturel, qu'encore aujourd'hui notre Philofa- phie n'en a point d'autre ; c'efl-à-dire, que nous expliquons les chofes incon- nues de la Nature par celles que nous DES Fables. ^273 avons devant les yeux, & que nous tranfportons à la phyfîque les idées que Texpcrience nous fournit. Nous avons découvert par Tufage, Se non pas deviné, ce que peuvent les poids, les reflbrtî-, les leviers: nous ne faiions agir la Nature que par des leviers, des poids & des relîorts. Ces pauvres Sau- vages qui ont les premiers habité le monde, ou ne connoilToient point ces chofes là, ou n'y avoient fait aucune attention. Ils n'expliquoient donc les effets de !a Nature que rar des chofes plus groffières & plus palpables qu'ils connoiflbient. Qu'avons-nous fait les uns & les autres ? Nous nous Tommes toujours reprcfenté Tinconnu fous la {ïgiue de ce qui nous étoit connu ; mais heureufement il y a tous les fujeis du monde de croire que l'inconnu ne peut pas ne point relTeinbler à ce qui nous efi: connu préfcnremenc. De cette Philofophie groriîcre qui régna nécefiaireraent dans les premiers fiècles, font nés les Dieux & les Déef- fes. Il efl: allez curieux de voir com- ment l'imagination humaine a enfanté les fauffes Divinités. Les hommes •voycient bien des choies qu'ils n'euf- £74 ^ ^ l' Origine fent pas pu faire ; lancer les foudres,^ exciter les vents, agitei" les fiots de la mer, tout cela étoit beaucoup au-def- fus de leur pouvoir. Ils imaginèrent des êtres plus puiiians qu'eux, & ca- pables de produire ces grands effets. Il talloit bien que ces étres-là iuifenc faits comme des hommes; quelle autre figure eulTent-ils pu avoir? Du moment qu'ils font de figure humaine, l'imagi- nation leur attribue naturellement tout ce qui efl humain ; les voilà hommes en toutes manières, à cela près qu'ils font toujours un peu plus puilîans que des hommes. De -là vient une chofe à laquelle on n'a peut-être pas encore fait de ré- flexion; c'eft que dans toutes les Divi- nités que les Payens ont imaginées, ils y ont iait dominer lidce du |.ouvoir, & n'ont eu prefque aucun égard ni à la fagefle, ni à la juftice, ni à tous les autres attribuas qui fuivent la nature divine. Rien ne prouve mieux que ces Divinités font fort ancieni;es , Se ne marque mieux le chemin que l'imagi- nation a tenu en les. formant. Les pre- miers hommes ne connoilloieut point de plus belle qualité que la force du DES Fables. 27^ corps ; la fagefle & la juftice n'avoient pas feulement de nom dans les Lan- gues anciennes, comme elles n'en ont pas encore aujourd'hui chez les Barba- res de l'Amérique : d'ailleurs la première idée que les hommes prirent de quel- que être fupérieur , ils la prirent fur des effets extraordinaires, & nullement fur l'ordre réglé de l'Univers qu'ils n'é- toientpointcapablesde reconnoître ni d'admirer. Ainfi, ils imaginèrent les Dieux dans un temps où ils n'avoient rien de plus beau à leur donner que du pouvoir, & ils les imaginèrent fur ce qui portoit des marques de pouvoir, èc non fur ce qui en portoit de fagefle. Il n'efl. donc pas furprenant qu'ils aient imaginé plufieurs Dieux, fouvent op- pofcs les uns aux autres, cruels, bizar- res, injulles, ignorans; tout cela n'ell point diredement contraire à Tidée de force &; de pouvoir qui efl la feule qu'ils enflent prife. Il falloir bien que ces Dieux fe fentiiTent & du temps où ils avoient été faits, Se des occafions qui les avoient fait faire. Et même , Quelle rniférable efpèce de pouvoir leur onnoiton? Mars, le Dieu de la guerre, eft bieilé dans un combat "par un mor- 27^ De l' O r r g ï n e tel : cela ciiroj^e beaucoup à fa dignité/ mais en fe leiirant, il fait un cri tel que dix mille hommes enfemble l'auroient pu faire : c'eil par ce vigoureux cri que Mars l'emporte en force ilir Diomède ; ôc en voilà aîiQz , l'don le judicieux Ho- mère, pour iauver l'honneur du Dieu. De la manière dont l'imagination eft faite, elle fe contente de peu de chofe, &: elle reconno:tra toujours pour une Divinité ce qui aura un peu plus de pouvoir qu'un homme. Ciceron a dit quelque part, qu'il ati- roit mieux ainié qu'Homère eût tranf- porté le.'; qualités des Dieux aux l:iom-- ïvies , que de trarifporter comme il a fait les qualités des hommes aux Dieux. Mais Ciceron en demandoit trop ; ce qu'il appelloit en ion temps les quali- tés des Dieux, n'étoit nullement connu du temps d Homère. Les Payens ont toujours copié leurs Divinités d'après eux-mêmes: ainfi , à mefure que les hommes font devenus plus parfaits, les Dieux le font devenus aulTi davan- tage. Les premiers hoinmes font fort brutaux, &; ils donnent tout à la force : les Dieux feront prefque aufîi bru- tau.x, & feulement un peu plus puiifans; t>Es Fables. 277 Voilà les Dieux du temps d Homère. ïacs hommes commencent à avoir des idées de la fagefle & de la judice : les Dieux y gagnent ; ils commencent à être fages Se juftes, & le font toujours de plus en plus à proportion que ces idées Te perfedionnent parmi les hom- mes : voilà les Dieux du temps de Ci- ceron, ôc ils valoient bien mieux que ceux du temps d Homère, parce que de bien meilleurs Philofophes y avoient mis la main. Jufqu'ici les premiers hommes ont donné naifiance aux Fables, fans qu'il y ait, pour ainfi dire, de leur faute. On efl ignorant, & on voit par con- féquent bien des prodiges : on exagère naturellement les choies furprenantes en les racontant ; elles fe chargent en- core de diverfcs faulletés en pafTant par {.lufieurs bouches ; il s'établit des efpèces de [) flêmes de Philofophie fort greffiers & fort abfurdes , mais il ne peut s'en établir d'aune. Nous allons voir maintenant que fur ces fondemens les hommes ont en quelque manière pris plaifir à fe tromper eux mêmes. ' Ce que nous appelions la Philofo- phie des premiers liècles , fe trouva 's.'jS De l' Origine tout-à fait propre à s'allier avec rhif- toire des faits. Un jeune Homme eft tombé dans une rivière , Se on ne fau- roit retrouver fon corps. Qu'eft-il de- venu ? La Philofcphie du temps enfei- gne qu'il y a dans cette rivière des jeu- nes filles qui la gouvernent: les jeunes filles ont enlevé le jeune homme , cela efl fort naturel; on n'a pas befoia de preuves pour le croire. Un hom- me, dont on ne connoîc point la naif- fance , a quelque talent extraordinaire ; il y a des Dieux faits à peu près com- me des Hommes : on n'examine pas davantage qui font (es parens -, il efl; fils de quelqu'un de ces Dieux-là. Que l'on confidère avec attention la plus grande partie des Fables, on trouvera qu'elles ne font qu'un mélange des faits avec la Philofophie du temps , qui expliquoit fort commodément ce que les faits avoient de merveilleux, & qui fe lioit avec eux très - naturellement. Ce n'étoient que Dieux Ôc Déefles qui nous reflèmbloient tout-à-fair, & qui croient fort bien aiïbrtis fur la fcène avec les hommes. Comme les ïiifloires de faits véri- tables mclces de ces faufies imaginar ©ES Fables. 27^ tîons eurent beaucoup de cours, on commença à en forger fans aucun fon- dement; ou tout au moins on ne ra- conta plus les faits un peu remarqua- bles, fans les revêtir des ornemens que l'on avoit reconnu qui étoient propres à plaire. Ces ornemens croient faux , peut être même que quelquefois on les donnoit pour tels ; & cependant les hiftoires ne paflbient pas pour être fa- buleufes. Cela s'entendra par une corn- paraifon de notre Hiftoire moderne av^ec Tancienne. Dans le temps où Ton a eu le plus d'efprit , comme dans le fiècle d' Au- gure & dans celui-ci, on a aimé à rai- îonner fur les adions des hommes, à en pénétrer les motifs, & à connoître les caradères. Les Hiftoriens de ces fiècles - là fe font accommodés à ce goût; ils fe font bien gardés d'écrire les faits nûment ôc féchement; ils les ont accompagnés de motifs, & y ont mê- lé les portraits de leurs perfonnages. Groyons-nous queces portraits & ces motifs foient exadement vrais ? y avons-nous la même foi qu'aux faits? Non ; nous favons fort bien que les Hilloriens les ont devinés comme ils uSo De l'Origin:^ ont pu, & qu'il efl prefque impofTiblé quils aient deviné tou:-à-faic julle. Cependant nous ne trouvons point mauvais que les îliiloriens aient re- ciierclié cet embellifl'ement qui ne fort point de la vraifemblance ; Se c ert: à caufe de cette vraifemblance que ce mélange de faux que nous reconnoif- fons qui peut être dans nos hilloires, ne nous les fait pas regarder comme des Fables. De même , après que par les voies que nous avons dites, les anciens Peu- ples eurent pris le goût de ces hilloi- res où il entroit des Dieux Se des Déef- fes, & en général du merveilleux, on ne débita plus d'hilioires qui n'en fuf- fent ornées. On favoit que cela pou- voir n'être pas vrai ; mais en ce temps- là il étoit vraifemblable. Se c'en étoitî allez pour conlerver à ces Fables la qualité d'hilloires. Encore aujourd'hui les Arabes rem- plident leurs hidoires de prodiges Se de miracles , le plus fouvent ridicules &:grotefques. Sans doute cela n'eO: pris chez eux que pour des ornemens aux- quels on n'a garde d'ctre trompé, parce que c'eft entr'eux une efpèce de con- vention DES Fables. 281 Vention d'écrire ainfi. Mais quand ces fortes d'Hidoires pafîent chez d'autres Peuples qui ont le goût de vouloic qu'on écrive les faits dans leur exade vérité, ou elles font crues au pied de la lettre, ou du moins on fe perfuade qu'elles ont été crues par ceux qui les ont publiées , Se par ceux qui les ont reçues TanscontradiLlion. Certainement! le mal-entendu eH: confîdérable. Quand j'ai dit que le faux de ces biitoires étoit reconnu pour ce qu'il étoit, j'ai entendu parler des gens un peu éclai- rés ; car pour le Peuple , il eil deftiné à être la dupe de tout. Non - feulement dans les premiers fîècleson expliqua par unePliilofophie chimérique ce qu'il y avoir de furpre- nant dans Tbiftoire des faits ; mais ce qui appartenoit à la Philorophie , on l'expliqua par des hifloires de faits imaginés à plaiUr. On vovoit vers le Septentrion deux conflellations nom- mées les deux Ourfes,qiii paroiiïbient toujours & ne fe couchoient point comme les autres; on n'a voit garde de fonger que c'eft qu'elles étoient vers un pôle élevé à l'égard des fpedateurs, on n'en favoit pas tant : on imagina To/m IIL A a 2^2 "De l' Origine que de ces deux Ourfes , l'une avoit été autrefois une Maîtrelle , S: l'autre un fils de Jupiter; que ces deux perfonnes ayant été changées en conllellations , la jaloufe Junon avoit prié l'Océan de ne point fouffrir qu'elles defcendillent chez lui comme les autres, Se s'y allaf- fènt repofer. Toutes les métamorpho- fes font la Phyfique de ces premiers temps. Les mûres font rouges , parce qu'elles font teintes du fang d'un Amant & d'une Amante ; la perdrix vole toujours terre à terre, parce que Dédale, qui fut changé en perdrix, fe fouvenoit du malheur de fon fils qui avoit volé trop haut ; & ainfi du relie. Je n'ai jamais oublié que l'on m'a dis dans mon enfance que le fureaa avoic eu autrefois dts raifms d'auffi bon goût que la vigne ; mais que le traître Judas s'étant pendu à cet arbre , fcs fruits étaient devenus auiTi mauvais qu'ils le font préfentement. Cette Fable ne peut €tre née que depuis le Chriiiianifme; & elle efl précifément de la même ef- pèceque ces anciennes méramorphofes cjii'Ovide a ramalTées, c'elt-à-dire, que les hommes ont toujours de l'inclina- tion pour ces fortes d'hilloires. Elles DES Fables, 2^y ont Icdouble agrément, Se de frappée l'efprit par quelque trait merveilleux, &: de fatisfaire la curiofité par la raifon apparente qu'elles rendent de quelque effet naturel & fort connu. Outre tous ces principes particuliers de la naillance des Fables, il y en a eu deux autres plus généraux oui les ont «xtrêmement favorifées. Le premier elt le droit que l'on a d'inventer des cho- fes pareilles à celles qui font reçues, ou de les pouffer plus loin par des conféquences. Quelque événem.ent ex- traordinaire aura fait croire qu'un Dieu avoit été amoureux d'une femme ; auffi-tôt toutes les hifloires ne feront pleines que de Dieux amoureux. Vou-s croyez bien l'un, pourquoi ne croirez- vous pas l'autre? Si les Dieux ont des enfans, ils les aiment, ils emploient toute leur puiffance pour eux dans les occafions; Se voilà une fource inépui- fable de prodiges qu'on ne pourra traiter d'abfurdes. Le fécond principe qui fert beau- coup à nos erreurs , eff le refped aveu- gle de l'antiquité. Nos pères font cru ; prétendrions - nous être plus fages qu'eux? Ces deux principes joints ea« Aa ij 284 I)e l' Origine femble font des merveilles. L'un, fmle moindre fondement que la foibleûë de la nature humaine .ait donné 3 étend une fottife à Tinfini ; l'autre, pour peu qu'elle foit établie, la conferve à ja- mais. L'un , parce que nous fommes déjà dans l'erreur, nous engage à y être encore de plus en plus ; Se l'autre nous défend de nous en tirer , parce qus nous y avons été quelque temps. Voilà, félon toutes les apparences , ce qui a pouiTé les Fables à ce haut degré d'abfurdité où elles font arrivées, 6c ce qui les y a maintenues : car ce que la Nature y a mis direLlement du lien, n'étoit ni tout-à-fait fi ridicule, ni en fi. grande quantité ; & les hom- mes ne font point fi fous, qu'ils eulTen.t P'U tout d'un coup enfanter de telles rêveries, y ajouter foi, & être un fort long temps à s'en défabufer, à moins qu'il ne s'y fût mêlé les deux chofes que nous venons de dire.. Examinons les erreurs de ces ficcles- ci , nous trouverons que les mêmes chofes les ont établies, étendues Se confervées. Il efl vrai que nous ne fom- mes arrivés à aucune abfurdité auHi coiîfidérable que ks anciennes Fables DES Fable !7. zSy des Grecs ; mais c efc que nous ne fom- mes pas partis d'abord d'un point (i abfurde. Nous favons aiifii bien qu'eux étendre Se conferver nos erreurs : mais heureufement elles ne font pas fi gran- des, parce que nous fom-nes éclaires des lumières de la vraie Pvjli^ion , &, à ce que je crois, de quelques rayons de la vraie Philolbphie. On attribue ordinairement Torigine des Fables à Timagination vive des Orientaux ; pour moi, je l'attribue à l'ignorance des premiers hommes. Mettez un Peuple nouveau fous le pôle, fes premières hilloires feront des Fa- bles -, & en effet les anciennes hilloires du Septentrion n'en font elles pas toiir tes pleines? Ce ne font que Géans Ôc ]\Iagiciens. Je ne dis pas qu'un foleil vif ôc ardent ne puiife encore donner aux efprits une dernière codion , qui perfeflionne la difpolition qifils ont à fe repaître de Fables ; mais tous les hommes ont pour cela des talens indc- pendans du foleil. Auffi , dans tout ce que je viens de dire , je n'ai fuppofé dans les homm.es que ce qui leur eft commun k tous, & ce e[ui doit avoir 2^6 De l' Origine fon efietfoiis les zones glaciales com- me fous la torride. Je montrerois peut-être bien, s'il le falloit , une conformité étonnante en- tre les Fables des Américains & celles des Grecs. Les Américains envoyoienc Iqs âmes de ceux qui avoient mal vécu dans de certains lacs bourbeux & dé- fagrcables , comme les Grecs les en- voient fur les bords de leurs rivières de Styx & d'Acheron. Les Américains croyoient que la pluie venoit de ce qu'une jeune fille qui étoic dans les nues jouant avec fon petit frcre, il lui cafToit fa cruche pleine d'eau : cela ne rel]'emble-t-ii pas fort à ces Nymphes de fontaines, qui renverfent l'eau de dedans des urnes ? Selon les traditions du Pérou, l'Ynca Manco Guyna Ca- pac , fils du foîeil , trouva moyen par fon éloquence de retirer du fond des forets les habitans du pays qui y vi- voient à la man'cre des bétes, ôz il les fît vivre fous des loix raifonnabîes» Orp'ice en fu autant pour les Grecs,' & il étoit aulTi Hls du foleil : ce qui montre que les Grecs furent pendanli un temps des Sauvages auffi bien que DES Fables. 2^7 les Américains , Se qu'ils fuient: tires de labaibaiie par les mèn:es moyens; Es Fables. 289 dant un grand nombre de fiècies très- grolTières & très-imparfaites, & qu'en- core aujourd'hui les progrès en ioienc fi lents. Chez la plupart des Peuples, les Fa- bles fe tournèrent en Religion ; mais de plus , chez les Grecs, elles fe tour- nèrent, pour ainfi dire, en agrément. Comme elles ne fournilTent que des idées conformes au tour d'imiagination le plus commun parmi les hommes, la Poéfie 6c la Peinture s'en accommo- dèrent parfaitement bien , & Ton fait quelle paAion les Grecs avoient pour ces beaux Arts. Des Divinités de tou- tes les efpcces répandues par-tout , qui rendent tout vivant Se animé, qui s'in- téreflènt atout, &, cequiefl plus im- portant, des Divinités qui agilTenc fouvent d'une manière furprenante, ne peuvent manquer de faire un eilet agréable , foit dans des Poèmes , foie dans des tableaux, où il ne s'agit que de réduire l'imagination en lui préfen- tant des objets qu'elle fainife facile- ment, & qui en même temps la frap- pent. Le moyen que les Fables ne lui convinlTent pas , puifque c'eft d'elle qu'elles font nées f Quand la Poéfie ou Tome ÎII, Bb 2.'^o D E l' O r, I g r n e la Peinture les onc mi (es en œuvre pour en donner le fpedacle à notre imagi- nation , elles n'ont fait que lui rendre Tes propres ouvrages. Les erreurs une iois établies parmi les hommes, ont coutume de ietter des racines bien profondes. Se do, s'accro- cher à diltcrentes choies qui les foutien- rent. La Religion & le bon fens nous ont défabufes des Fables des Grecs; mais elles ie maintiennent encore parmi nous par le moyen de la Poéfie & de la Peiiuure, auxquelles il fenible qu'el- les aient trouve le fecret de fe rendre nécefiaires. Quoique nous foyions in- comparablement plus éclairés que ceux dont Tefprit groiïier inventa de bonne foi les Fables, nous reprenons trcs- aifémenî ce même tour d'efprit qui rendit les Fables fi agréables pour eux; ils s'en repaiffoient parce qu'ils y croyoicnt , & nous nous en repailTons avec alitant de plaifir fans y croire : & rien ne prouve mieux que l'imaginatiori & la raifon n'ont guère de commerce enfemble , Se que les chofes dont la rai- fon efl pleinement détrompée, ne per- dent rien de leurs agrémens à l'égard de limaginaiion. DES Fables. 2pi Nous n'avons fait entrer jurqu'à pré' fent dans cette Hiiloire de l'origine des Fables, que ce qui e(t pris du tond de la nature humaine , & en effet c'ed ce qui y a dominé.; mais il s'y eli joini des choies étrangères, auxquelles notîS ne devons pas retufer ici leur place. Par exemple, les Phéniciens Se les Egyptiens étant des Peuples plus an- ciens que les Grecs, leurs Fables pallè- rent chez les Grecs, & groiîîrent dans ce palTage, & môme leurs hiiioires les plus vraies y de%inrenc des Fables. La Langue Phénicienne , Se peut-être aufil l'Egyptienne , ctoit toute pleine de mots équivoques ; d'ailleurs les Grecs n'entendoient guère ni Tune ni Tautre, & voila une fource merveilleufe de mé- pris. Deux Egyptiennes, dont le nom propre veut dire Colombes, font ve- nues s'habituer dans la forêt de Dodone" pour y dire la bonne aventure ; les Grecs entendent que c€ font deux vraies Colombes perchées fur des arbres qui prophétifent, & puis bientôt après ce font les arbres qui prophétifent eux- mêmes. Un gouvernail de navire a un nom Phénicien qui veut dire zuiïï par- lant i les Grées, dans Thifloire du na- Bb ij 2^2 De l' Origine vire Argo, conçoivent qu'il y avoît un gouvernail qui parloir. Les Savans de ces derniers temps ont trouvé mille au- tres exemples, où l'on voir clairement que l'origine de plufieurs Fables con- fiée dans ce qu'on appelle vulgairement àQS quiproquo , 3c que les Grecs étoient fort fujets à en faire fur le Phénicien ou rEgyptien. Pour moi je trouve que les Grecs qui avoient tant d'efprit ôc de curiofité, manquoient bien de l'un Ou de l'autre de ne pas s'avifer d'apprendre parfaitement ces Langues-là , ou de les négliger. Ne favoient-ils pas bien que prefque toutes leurs Villes étoient des Colonies Egyptiennes ou des Phéni- ciennes , Se que la plupart de leurs an- ciennes hilloires venoient de ce Pays- là ? Les origines de leur Langue & les antiquités de leur Pays ne dcpen- doient- elles pas de ces deux Langues ? Mais c'étoient des Langues barbares, dures & délagrcables. Plaifahte déli- ÇateiTe ! Lorfque l'Art d'écrire fut inventé, il fervit beaucoup à répandre des Fables , ^ à enrichir un Peuple de toutes les fot- tifes d'un autre: mais on y gagna que l'ipcenitude de la tradition fut un peu DES Fables, 29^ fixée, que l'amas âcs Fables ne groffic plus tant , 6c ou il demeura à-}.,eu- près dans l'état ou l'invention de récri- ture le trouva. L'ignorance diminua peu-à-peu , Se par conféquent on vit moins de prodi- ges j on fit moins de faux fyflémes de PhiloTcphie, les hiRoires furent moins fabuleules ; car tout cela s'enchaîne. Jufques-là on n'avoit gardé le fouvenii: des chofes paffées que par une pure curionté : mais on s'apperçut qu'il poii- voit être utile de le garder , foit poui' conferver les chofes dont les Nations fe faifoient honneur, foit pour décider des dilTcrends qui pouvoient naître en- tre les Peuples, foie poiu* fournir des exemples de vertu ; & je crois que cet ufage a été le dernier auquel on ais penfé , quoique C3- foit celui dont on fait le plus de bruit. Tout cela deman- doit que l'hiiloire fût vraie : j'entends vraie par oppofition aux hilîoires an- ciennes, qui n'étoient pleines que d'ab- fiirdités. On commença donc à écrire dans quelques Nations l'iiiftoire d'une manière plus raifonnable , & qui avoic ordinairement de la vraifemblance. Alors il ne paroît plus de nouvelles Bb iij 294 I^E l'Origine des Fables. Fables ; on fe contente feulement de conferver les anciennes. Mais que ne peuvent point les efprits follement amoureux de l'Antiquité ? On va s'imaginer que fous ces Fables font cachés les fecrets de la Phyfîque Se de la Morale. Eùc-il été poffible que les Anciens eulTent produit de telles rê- veries fans y entendre quelque fineffe ? -Le nom des Anciens impofe toujours: mais aiTr.rément ceux qui ont fait les Fables n'étoient pas p;ens à favoir de la Morale ou de la Ph y fi que , ni à trouver l'art de les déguifer fous des im.ages empruntées. Necherclions donc autre chofe dans les Fables , que rhilloire des erreurs de refprit humain. Il en eft moins capa- ble , dès qu'il fait à quel point il l'eft. Ce ii'efl: pas une fcience de s'être rempli la tête de toutes les eîitravagances des Phé- niciens & des Grecs; mais c'en ell une de favoir ce qui a conduit les Phéni- ciens & les Grecs à ces extravagances. Tous les hommes fe relfemblent li fort, qu'il n'y a point de peuple dont les fottifes ne nous doivent faire trem- bler. 29Î DISCOURS A L'ACADÉMIE FRANÇOISE. Monjicnr DE Fo NT EN ELLE ayant été élu par Mcfjieurs de C /le a demie Fran- çoijc à la place de feu Monfieur D E FlLLAYi R , Doyen du Confeil d'Etat , y vir'.'t prendre jeance le Samedi 5 Mai 16^1 , ^' fit li Remerciement qui fuit. Messieurs, S>i je ne fongeois aujourd'hui à me défendre des mouvemens fiatteurs de là vanité, quelle occaiion n'auroit--el!e pas de me féduire , &; de me jetter dans la plus agréable erreur où je fois ja- mais tombé f En entrant dans votre iliuflre Compagnie, je croirois entrer en partage de toute (a gloire ; je me croirois afîbcié à rimmortelîe reiioni- mée qui vous attend ; ^ comme la vanité ^fl également hardie dans Tes idées, & ingcnicufe à les autorifer , je Bb iv 2()6 Discours me croirois digne du choix que vous avez fait de moi pour ne vous pas croire capables d'un mauvais choix. Mais , Messieurs , j'oie alïïirer que ]e me garantis d'une fi douce iinufion; je fais trop ce qui m'a donné vos fuf- irages. J'ai prouvé par ma conduite , que je connoilTois tout ce que vaut l'honneur d'avoir place dans l'Acadé- mie Françoife , & vous m'avez compté cette connoilTance pour un mérite ; mais le mérite d'autrui vous a encore plus fortement folhcités en ma faveur. Je tiens par le bonheur de ma naiiTance à un grand nom, qui dans la plus no- ble efpèce des productions de Tefprit efface tous les autres noms , à un nom que vous refpeflez vous - mêmes. Quelle ample matière m'offriroit l'il- lullre Mort qui l'a ennobli le premier ! Je ne doute pas que le Public , péné- tré de la vérité de fon éloge , ne me difpensât de cette fcrupuleufe bien- féance qui rious défend de publier des louanges où le fang nous donne quel- que part : mais je me veux épargner îa honte de ne pouvoir , avec tout le zèle du fang, parler de ce grandhom- me , que comme en parlent ceux que fa gloire intéreffo le moins. A l'Académie Fbançoise. 2^7 Vous , Messieurs, à qui fa nié- moire fera toujours chère , daignez tra- vailler pour elle , en me m.ettant en état de ne la pas déshonorer. Empê- chez que l'on ne reproche à la Nature de m'avoir uni à lui par des liens trop étroits. Vous le pouvez , Messieurs ■-, j'ofe croire mêm.e que vous vous y en- gagez aujourd'hui. Sûrs que vos lu- mières fe communiquent , vous m'ac- cordez l'entrée de l'Académie ; & pour- riezvous me recevoir parmi vous, fi. vous n'aviez formé le defiein de m'éle- ver jufqu'à vous ? Oferois-je mioi-mc- me, fi je ne comptois fiir votre fecours,, fi.iccéder à un grand Aîagifirat dont le génie, quelque difiance qu'il y ait entre les caraclères de Confeiller d'Etat Se d'Acatiémicien , embraObit toute cette étendue ? Je fens que mon cœur me follicite de m'érendre fi.ir ce que je vous dois ; & je réfifie à un miOuvement fi légiti- me, non par Timpuifiance oii je fi.iis de trouver àts exprefilons dignes du bienfait, je n'en chercherois pas; mais parce que je vous marquerai mieux ma reconnoiflance, lorfque j'entrerai avec une ardeur égale à la vôtre dans tout 29§ Discours ce qui vous intérefî'e le plus vivement. Un grand fpedacle eft devant vos yeux , une grande idée vous occupe (k vous rendroit indidcrens à d'autres difcours : je fufpens mes fentimens particulier^ ; je cours au feul fujet qui vous touche. Mons vient d'être fournis ; tandis (]u\in Prince, qui tire tout fon éclat d'ctre jaloux de la g^loire de Louis-le- Gkand, al]"emlile avec fade dus Con- feils compofés de Souverains, & que fon ambition s'y laiffe flatter par des hommages qu'il ne doit qu'à la terreur que l'on a conçue de la France ; tandis qu'il propofe des projets d'une Cam- pagne plus heureufe que les précéden- tes, projets qu'a enfantés avec peine une fomibre & lente méditation : c'ed aux portes de ce Confeil , c'eR dans le fort des délibérations que Louis entreprend de fe rendre maître de la plus confidérable de toutes les Places ennemies. A ce coup de foudre , rAfiemblée fe difilpe ; le Chef court , vole où il fe croit ncceiïaire , remue toiit , fait les derniers efforts , alfemble eni'in une alTez grande armée pour ne pas ctre A l'Acadéivîie Françoise, içç témoin de la piife de Mons fans en lehaufier l'éclat. La fortune du Roi avoit appelle ce rpeclateur d'au-delà des mers. Conquête auiTi heureufe que j^lorieufe , (i au milieu du bonheur dont elle a été accompagnée, elle ne nous avoit pas coûté des craintes mor- telles. Il n'ell pas befoin d'en opprimer le iujet : fous le règne de Louis , nous ne pouvons craindre que quand il s'ex- pofe. Dans le même temips , Nice , qui dans les Etats d'un autre Ennemi dé- cide prefque de leur sûreté , Nice efl forcée de fe rendre à nos armes , & la Campagne n'eft pas encore commen- cée. Quelle grandeur , quelle noblefTe dans les entreprifcs du Roi ! Rien ne peut nuire à leur gloire que la promp- titude du fuccès , qui peut-être aux yeux de l'avenir cachera les difficultés du deflein, & fera dirparoitre tous les obllacles qui ont été ou prévenus ou furmontés. Il manque à des entreprifes fi valles & fi hardies la lenteur de l'exécution. Quand nous vîmes, il y a quelques années , s'élever lorage que formoit contre nous un efprit né pour en ex- 500 Discours ciier , anibitieux fans mefure , 8c ce- pendant ambitieux avec conduite , enorgueilli par des crimes heureux ; quand nous vîmes entrer dans la Li- gue Jufqu'à GQs Princes , qui malgré leur toiblelTe pouvoient être à redou- ter , parce qu'ils augmentoient un nombre déjà redoutable : nous efpé- râmes, il efi: vrai , que tant d'ennemis viendroient fe brifer contre la puif- iance de Louis ; mais ne diifimulons pas que l'idée que nous en avions , quelque élevée qu'elle fût , ne nous promettoit rien au - delà d'une glo- rieufe réfiflance. Apprenons que la réfifcance de Louis, ce font de nou- velles conquêtes : il ne fait point af- furer Tes frontières fans les étendre ; il ne défend fes Etats qu'en les agran- dilfant. Il avoit renoncé par la paix à fe rendre maître de TEurope; oc l'Europe enticre ralitime une guerre qui le réta- blit dans ks droits , 8c l'invite à ré- parer hs pertes volontaires de fa mo- dération. Il tenoit fa valeur captive ; fes ennemis eux-mêmes Pont déga- gée, & l'Univers lui efi: ouvert. Que ne pouvons-nous rappelîer du A l'Académie Françoise. 501 tombeau, & rendre fpedaîeur de rant de merveilles, le graiid lYiiniftre à qui l'Académie Françoife doit (a naiiraii- ce ! Lui qui fous les ordres du plus julle des Rois a commencé Pélévation delà France, avecquel étonnement verroit- il Tes propres delleins poulies fi loin au-delà de fon idée Se (le ion attente ? lui qui nous fut donné pour préparer le chemin à Louis - le -Grand , au- ro;t-il cru ouvrir une (i beiie 6c fi écla- tante carrière ? Surpris de tant de gloire, il pardon- neroit à cette Compagnie , fi elle ne remplit pas fous fon règne le devoir qu'il lui avoir impofé de célébrer di- gnement les Héros que la France pro- duiroit. Il verroit avec un plaifir égal & notre z-èh & notre impuiilance. Ceux qui voudroient entreprendre l'éloge de Louis , font accablés fous ce même poids de grandeur, de valeur & de fa- gelTe, qui accable aujourd'hui tous les ennemis de cet Eiat. Une finccre fou- milTion efl le feul parti qui refîe à l'En- vie j & une admiration muette efl; le feul qui relie à l'Eloquence. 502 mtaaKm.rJnyt'FTftr' rf,t E«»«.is5f»î*'aa rs.-"vT«!!.BSî!a!rKrwŒ»3a«Eî>3a»«s*i ŒUF RE S AIE LÉ E S, — » Sa Majesté Cz arienne avant fait lavoir à TAcadéiTiie Royale de-^ Sciences qu'il voiiloit bien lui faire rhonneur d'ène à la têce de (es Ho- noraires , rAcadémie chargea fou Secrétaire de lui en écrire 3 ce qu'il fît en ces termes : IRE, V HONNEUR que J'otre. Majeflè fait à V AciidcniU Royale des Sciences ^ de vouloir bien que fon augn.'Ie nom fait mis à la têts de fil LiJIe , efi injlniment au- d [fus des idées les plus ambitieufes quelle pût conci' voir, i-jxa, oecr. perp. de L Acad. Roy, des Sciences» 304 CE U V R E s Le Czar ayant fait Thonneur à l' Aca- démie de lui répondre , le Secrétaire eut encore l'honneur d'écrire ati Czar la Lettre fuivante : IRE U Académie Royak des Sciences e/i infiniment honorée de la Lettre que Votre Majcjié a djigné lui écrire , & elle rna chargé de. lui en rendre enfon nom de très- humbles o.ciions de grâces. Elle vous ref- pecle , S l RE y non - feulement cvnme un des plus puiffans Monarques du monde , mais comme un Monarque qui emploie la grande étendue de fon pouvoir à établir les Sciences dont elle fait profel/ion , dans de va fies Pays où elles navoient pas encore pénétré. Si la France a cru ne pouvoir mieux immortalijer le nom d'un dejes Rois qiien ajoutant à fes titres celui de RejlaU" ratiur des Lettres^ quelle fera la gloire d''un Souverain qui en efî dans fes Etats le pre- mier Infiitutcur ! V Académie a fait mettre dans fes Archives la Carte de la iW.Y Cafplenne , M ê L é E s. 305 Cafpienne , drejjk par ordre, de Votn Ma- jcpé ; & quoique, ce foit une pièce unique «S* très - importante pour la Géographie , elle lui ejl encan plus prccicufi en ce qiielle eji un monument de la correfpondance que Votrz Majeflé veut bien entretenir avec elle. VObJcrvaioire a été ouvert au Bibliothè' Caire de Votre MajejU y qui a voulu y def^ Jtner qtielques Machines. V Académie la fupplie ttes-humblement d'accepter les derniers Volumes defon Hif- toire , quelle lui doit , & qu'elle e(l bien glorieule de lui devoir. Je fuis avec un tih -profond rejjyec'l , SIRE, De Votre MAjESxé Le très-humble & très-obéiffant r^^- '1" ferviteur y FoNTENELJ.E , , , , j S ter, perp. de l Acad. Roy, des Sciences, Tome III t Cg yj6 dE u V R E s COMPLIMENT Fait au Roi fur fon Sacre j par Monjïeur de Font en ELLE , alors Directeur de l'Académie Françoife ^ le g Novembre ly 22. i\ IL , Au milieu des acclamations de tout le Royaume , qui rcpcte avec tant de tranfport celles que Voike Majesté a entendues dans Rheims , l'Académie Françoife ell trop heureufe & trop lionorée de pouvoir faire entendre fa voix jufqu'au pied de votre Trône. La naidance , SIRE, Vous a donne à la France pour Roi , &: la Religion veut que nous tenions aulfi de (à main un (î grand bienfait ; ce que Tune a établi par un droit inviolable , faurre vient de le confirmer par une augufte ccré- M ê X É È s. 507 înonie. Nous ofons dire cependant que nous Tavions prévenue : Votre Par- Tonne étoit déjà facrce par le refpecî: & par l'amour. Oeil en elle que fe renfêrinent toutes nos efpérances ; Se ce que nous découvrons de jour en jour dans Votre Majesté , nous promet que nous allons voir revivre en même temps les deux plus grand.<î d'entre nos Monarques , Louis, à qui vous fuccédez , & Charlemagne dont on vous a mis la Couronne lur la icte. Ce ij 3o8 (S U V R E s COMPLIMENT F dit au Roi le i6 Décembre ty 22, fur la mort de MADAME , par Monficur DE FONTENELLE ^ alors Directeur de t Académie» Sire, Q u A N D Fart de la parole feroïc tOLit-piiiflant, quand T Académie Fran- çoife , qui l'ctudie avec tant de foin , le poflederoit au pius haut degré de perfediort , elle n'entreprendroit pas d'adoucir la douleur de Votke Ma- jesté. Vous regrettez très - légitime- ment, SIRE , une grande PrincelTe qui couronnoit toutes Tes vertus par un attachement pour Vous , aulfi ten- dre que Tamoiir maternel. Quoique déjà languilTante , & attaquée d un mal donc elle ne fe difhmuloic pas les fui- tes , elle voulut être témoin de la cé- rémonie qui a confacré Votre Per- fonne ^ & remporter de cette vie le MELEES. 309 plafîrde ce dernier fpectacle fitouclianc pour elle. Nous ofons avouer, SIKE, que Faftiitflion que vous reflentez de fa perte nous efl précieufe ; elle nous an- nonce dans Votre Majesté ce que nous y defirons le plus. Combien doit être cher aux Peuples, un Maître dont le coeur ferafenfible ôc capable de s'at- tendrir pour eux î 310 (E U V R E s ■satiS^'jSK'jS'tJfcVîî; C O M P L I M E N T Fuit le i6 Décembre ty 22 à Son Alteffe Royale Monfeigneur le Duc d'O R LÉ A N s ^ Rc'gcnt du E.oydume ^ fur la mort de MADAME, r^î/- Moufieur de Fonte?' ELLE ^ alors Direc- teur de r Académie, Monseigneur, Tout le Royaume partage la dou- leur de V. A. R. Les larmes que vous donnez au lien le plus étroit du lang, & aux vertus de Tauguile Mcre que vous perdez , il les donne à Tes vertus feules , & il rend à fa mémoire le tri- but dont les Princes doivent être le plus jaloux. Sa bonté Se Ion humanité lui attiroient tout ce que la dignité n'efl pas en droit d'exiger de nous. Si les qualités du cœur faifoient les MELEES. 311 rangs, fa droiture, fa fmcérité, fon courage lui en auroient fait un au- delTus même de celui où fa naiiTance l'avoit placée. Elle a confervé dans tout le cours de fa vie cette égalité de conduite , qui ne peut partir que d'une rare vigueur de l'ame , ôc d'un cer- tain calme refpectable qui y règne. La France fe gloritloit d'avoir acquis cette grande Princeffe , & lui rendoit grâces dts exemples qu'elle donnoit aux perfonnes les plus élevées. Ceux qui cultivent les Lettres , font ordi- nairement encore plus touchés que les autres , des pertes que faii la ver- tu; du moins le fommes nous davan- tage de tout ce qui vous intérede » l«i ONSE I G NE u R 5 nous à qui vous accordez une proreciion que vos lu- mières rendent fi fiatteufe pour nous. Si j'ofe parler ici de moi , l'Académie Françoife ne p.ouvoit avoir auprès de Vous un Interprète de Ces fentimens oui en fût plus pénétré, ni qui tint à V. A.R. par un plus long, plus fincère & plus refpeftueux attachement. 512 (E U V R E s p. É P G N s E Df Mon fleur DE Fontfnelle _, alors Directeur de r Académie Françoife _, azi Difcours que S,E. M. le Cardinal' DUBOIS, premier Minijlre ^ fit à cette Académie ^ le q Décembre 1622 y lorfqu il y fat reçu» ONSEIGNEUR, Quelle eût été la joie du grand Cardinal de Rich el ie u , loriqu'il donna naillance à l'Académie Fran- çoife, s'il eût pu prévoir qu'un jour le titre de Ton Protedeur , qu'il porta it légitimement , deviendroit trop élevé pour qui ne feroit pas Roi ; &: que ceux qui , revêtus comme lui des plus hau- tes dignités de l'Etat préférerons toujours à tous les autres. DISCOURS A L'ACADÉMIE FRANÇOISE. RÉPONSE De Monjieur DE Font en e LLE à M. Nericault Destouches , lorfqu'il fut reçu à l'Académie Fran* çoife k 2^ JoCu 1723. ONSIEUR, On fait afTez que l'Académie Fran- çoife n'affecle point de remplacer un Orateur par un Orateur , ni uti Poëte par un Poëte; il lui ibffit que des ta- lens fucccdent à des talens , & que le même tonds de mérite fubfifte dans la Compao;nie , quoique formée de différens aflemblaG;;es. Si cependant il fe trouve quelquefois plus de confor- mité dans les (ucceltions , c'efl un agrément de plus que nous recevons avec plaifir {\^s mains de la Fortune» Discours a l' Acad. Franc. 52 5* Nous avions perdu M. Campiftron , il- Inrtre dans le genre dramatique ; nous retrouvons en vous un Auteur revêtu du même éclat. Tous deux vous avez joui de ces iuccès fi flatteurs du Théâ- tre , où la louange ne paile point len- tement de bouche en bouche , mais fort impétueufement de toutes les bou- ches à la fois, & où louvenr même les tyanlports de toute une grande Adem- blée prennent la place de la louange interdite à la vivacité de l'émotion. Il ell: vrai que votre Théâtre n'a pas été le même que celui de votre prédé- celleur. 11 s'étoit donné à la Mule Tra- gique ; & quoiqu'il ne Toit venu qu'a- près des hommes qui avoient porté la Tragédie au plus haut degré de perlec- tion, & qui avoient été l'honneur de leur fiècle , à un point qu'ils dévoient être auiïi le défefpoir éternel des fiècles fuivans , il a été fouvent honoré d\in aufîî grand nombre d'acclamations , Se a recueilli autant de larmes. On voie aflez d'Ouvrages , qui, ayant paru fur le Théâtre avec quelque éclat , ne s'y maintiennent pas dans la fuite des temps, ôc auxquels le Public femble n'avoir fait d'abord un accueil favo- 52(5 Discours rable , qu'à condition qu il ne les re- verroit plus. Mais ceux de I\l. Campif- tron le confervenc en poiiellion de leurs premiers honneurs. Son Alci- biade, Ion Andronic , fonTiridate vi- vent toujours ; & à chaque fois qu'ils paroiilei.t , les applaudillemens le re- nouvellent , es: raiirient ceux qu'on avoit donn.s a Lur nailTance. Non , les campagnes où Te moiiTonnent les lauriers n'ont pas encore cié entière- ment dcpouiliées ; non , tout ne nous a pas été enlevé par nos ad.iiirables Ajîcètres : & à Têtard du Théâtre en particulier, pourrions- nous le croire épuifé dar.ç le tem l^s même où un Ou- vrage fortide cerre Académie , brillant d'une nouvelle lorie de beauté , paiTe les boriies ordinaires des 2;rands fuc- ces. À: de Tambition des Poètes? Pour vous, MoNsiEUK . vous vous êtes reiifermé dans le Comique , aufll difficile à manier , & peut - ctre plus , que le Tragique ne Tell avec toute Ton élévation, toute Ta force, tout fon fu- blim€. Lame. lie feroit-elle point plus fufceptible àes agitations violentes que iles mouvemens doux ? ne feroit - il point plus ailé de la tranfpouer loin A l'Académie FRANçorsE. 327 de Ton afTiette naturelle, que de Tamu- fer avec i^'Iaifir en Ty lailiant; de i'en- chanrer par des objets nouveaux & revôtL s de mervti.leux , que de lui ren- dre nouveaux dts objets tanuliers ? Quoi qu il en foit de cette efpèce de dificrend entre le Tragique 6c le Co- mique, du moins la plus difficile ef[èce de Comique eft celle où votie génie vous a conduit , celle qui n'efi: Co- mique que pour la raifon , qui ne cher- che point à exciter baliemei:t un rire immodéré dans une multitude grof- fière ; mais qui élevé cette multitude , prefque malgré elle-même , à rire fine- ment Se avec esprit Qui eii celui qui n'a point fenti dans le Curieux im- pertinent, dans ITrrélolu, dans le Mc- difant, le beau choix des caradères , ou plutôt le talent de trouver encore des caraftères ; la judelle du Dialogue , qui fait qu'on fe parle Ôc qu'on fe ré- pond, & que chaque chofe ^e dit à fa place, beauté plus rare qu'on ne penfe; la noblelle & l'élégance de la verlitica- tion , cachées ious toutes 'les appa- rences necelTaires i\v. ftyle familier ? Delà vient que vos Pièces fe lifent, ôc cette louante Ci fimple n'ell: pourtant 528 Discours pas fort commune. Il s'en faut bien quô tout ce qu'on a applaudi au Théâtre, ou le puilfe lire. Combien de Pièces fardées par la repréfentation ont ébloui les yeux du Spectateur; Se dépouillées de cette parure étrangère , n'ont pu foutenir ceux du Ledeur ? Les Ouvra- ges dramatiques ont deux Tribunaux à efibyer , très dilî'érens , quoique com- polés des mêmes Juges ; tous deux: également redoutables , l'un parce qu'il efl: trop tumultueux , l'autre parce qu'il eil: trop tranquille : & un Ouvrage n'cfî: pleinement alTuré de fa gloire , que quand le Tribunal tran- quille a confirmé le jugement favo- rable du tumultueux, La réputation que vous deviez aux Mufes , Monsieur, vous a enlevé à elles pour quelque temps. Le Public vous a vu avec regret palier à d'au- tres occupations plus élevées , à des affaires d'Etat , dont il auroit vo- lontiers chargé quelqu'autre moins néceffaire à Tes plaifirs. Toute vo- tre conduite en Angleterre , où les intérêts de la France vous étoienc confiés , a bien vengé l'honneur du Génie Poétique, qu'une opinion affez commune A l'Académie Françoise. 32P commune condamne à le rentermer dans la Poëfie. Et pourquoi veut -ou eue ce Génie Toit fi frivole ? bes objets font fans doute moins importans que âts Traités encre d^s Couronnes : mais une Pièce de Théâtre, qui ne fera que l'amufem.ent du Public, demande peut- être des reflexions plus profondes , plus de connoilfance des hommes 6c de leurs pallions , plus d'art de com- biner ôc de concilier des chofes oppo- fées, qu'un Traité qui fera la deflinée des Nations. Quelques Gens de-Lettres font incapables de ce qu on appelle les affaires férieufes; j'en conviens : mais il y en a qui les fuient fans en être in- capables , encore plus qui , fans les fuir & fans être incapables , ne fe font tournés du côté des Lettres , que faute d'une aufre matière à exercer leurs ta- lens. Les Lettres font Fafyle d'une in- finité de taîens oififs Se abandonnés par la fortune j ils ne font guères alors que parer , qu'embellir la Société: mais on peut les obliger à la fervir plus uti- lement; cès ornemens deviendront des appuis. C'efî ainîi que penfoit le grand Cardinal de Richelieu , notre Fon- dateur ; c'efl ainQ qu'a penfé à votre Tome III, Ee 3 30 Discours fiijet celui qui commençoit à îe rem-"' pincer à la Fiance , Se que la France "" 6c l'AxCadémie viennent de perdre. Venez parmi nous, Monsieur, libre des occupations politiques , & rendu à vos premiers goûts. Je fuis en droit de vous dire , fans craindre aucun re- proche de préfomption , que notre commerce vous fera utile. Les plus . grands Hommes ont été ici , & n'en font devenus que plus grands. L'Aca- démie a été en même temps une ré- compenfe de la gloire acquife , & un moyen de Taugmenter. Vous en devez être perfuadé plus que perfonne, vous qui favez i\ bien quel ed: le pouvoir de la noble émulation. A l'Académie Fkançoise. 331 REPONSE De Monfieur DE Fontenelle Doyen de l'Académie Françoîfi ^ & alors Directeur j au Dijcours de M. DE Chalamont de LA ViscLEDE^ Secrétaire perpétuel j & F un des Députés de l'Académie de Marfeille , à la réception de Mcffieurs les Dé- putés de cette Académie , aufujet de fon adoption par VAcadé- mie Françoife ^ le i g Septembre. iy26. lESSIEURS, Si rAcadcmie Françoife avoit par on choix adopté rAcadémie de Mar- feille pour fa filie, nous ne noiis dé- fendrions pas de la gloire qui nous re- £e ij 3^2 Discours viendroit de cetre adoption ; nous re- cevrions avec plailir les louanges que ce choix nous attircroit. Mais nous favons trop nous-mêmes que c'efi vo- tre Académie qui a clioifi la nôtre pour fa mère : nous n'avons fur vous que les droits que vous nous donnez vo- lontairemeiu; & à cet égard nous vous devons des remeiciemens de notre fu- périoriré. Ce n'ed pas que nous ne puifTions nous flatter d avoir quelque part à la naillance de votre Compagnie. Un de ceux qui en ont eu la première idée , celui qui s'en ert: donné les premiers mouvemens , qui y a mis toute cette ardeur nécelTaire pour commencer un ouvrage , efl: un homme que nos juge- mens folemnels avoient enflammé d'un amour pour les Lettres , encore plus grand que celui qu'il tenoit de fon heu- reux naturel. Nous l'avions couronné deux fois de fuite , & d'une double couronne à chaque fois, honneur uni- que iufqu'à préfent- Et combien un pareil honneur, auflî fingulier en Ton efpèce , eût-il eu d'éclat dans les jeux de t'Elide ? combien Pindare l'eût - il célébré ! Nos Loix ne donnoient pas A l'Académie Françoise. 335 à ce vainqueur , comme celles des Grecs , des privilèges dans fa Patrie : mais lui , il a voulu multij^lier dans fa Patrie , il a voulu y éfernifer les talens qui Tavoient rendu vainqueur. D'un autre côté , le crédit qui vous a obtenu de l'autorité royale les grâces nécelîaires pour votre établiflement , c'a été celui d'un des Membres de l'Académie Françoife. Sous une qua- lité Cl peu faftueufe ôc fi fimple, vous ne Idiflëz pas de reconnoître le Gou- verneur de votre Province , le Général d armée qui rendit k la France la fupé- riorité dts armes qu'elle a voit perdue; & qui enfuite , par une glorieufe paix dont il fut le Négociateur , termina cette même guerre qu'il nous eût en- core fait foutenir avec avantage. Et ne pourrions-nous pas nous glorifier auffi de ce que, pour ces grsces qu il vous a obtenues , il a eu beforn lui- même d'un autre Académicien ? Nous ne lui donnerons que ce titre , puif- qu'il né2,lige celui des fondions les plus brillantes , content de pouvoir être util-e, peu touché de ce qui n'y ajoute rien Mais à quoi ferviroit-il de ledier- 3 54 Discours cher des raifons qui vous liaffent à TA- cadcmie Françoife, tandis que votre inclination nienie vous fait prendre avec elle les liaifons les plus étroites ? Attendez de nous, .Messieurs, tout ce que demande une conduite fi fîat- teufe à notre égard, tout ce que votre ir.crite perfonnel exige encore plus fortement. Votre Académie fera pluroc une fœur de la nôtre qu'une fille. Cet Ouvrage que vous vous êtes engages à nous envoyer tous les ans , nous le recevrons comme un préfent que vous nous ferez, comme un gage de notre Vinion ^ femblable à ces marques em- ployées chez les Anciens , pour fe faire reconnoitre à des amis éloignés. Nous avons déjà vu naître des Aca- démies dans quelques Villes du Royau- me ; Se lAcadémie de Marfeille qui naît aujourd'hui , nous donne le plai- fir de voir que cette efpèce de produc- tion ne s'arrête poiiir, Si lorfque le grand Cardinal de Richelieu eut formé notre Compagnie dans la Capi- tale, il s'en fût formé. auflî - tôt d'au- tres pareilles dans les Provinces , on eût pu croire que lefprit d'imitation êc de mode, fi reproché à notre Nar- A l'Académie FrAIs^çotse. 5"^^ t!On, agiiToit; & s'il tût agi, il efl cer-' tain qu'il ne Te fur pas foutenu. Mais' les Académies nées après i'Acadcmie Françoifcfont nées en des temps allez difîcrens. Ce n'eH: donc plus une m.ode qui entraîne la Nation : une inutilité réelle ôc folide fe fait fenrir , mais len- tement , parce qu'elle ne regarde que Felprit; & en rccompenfe elle le fait toujours fentir : la pure raifon ne fait pas rapidement ((^s conquêtes ; il faut qu'elle fe contente de les avancer tou- jours de quelques pas. Si les Villes , fi les Provinces du Royaume s'étoicnt difputé le droit d'avoir une Académie , quelle Ville l'eût emporté fur Marfeiile par l'an- cienneté dës titres ? quelle Province en eût produit de pareils aux vôtres, Messieurs ? Marfeiile ctoit favante & polie dans le temps que le refie des Gaules étoit barbare ; car il n'efl pas à préfumer que le favoir des Druides y répandit beaucoup de lumières. Mar- feiile a eu des Hommes, fameux en- core aujourd'hui, que les Grecs recon- noiflbient pour leur appartenir, non- feulement par le fang , mais par le gé- nie. Il eft forci de la Provence , fou- 3q<5 Discours riiîfe à TEmpire Romain , àes Ora- teurs & des Philolophes que Rome admiroit. Et dans des temps beaucoup moiiîs reculés , lorfque cette épaiiiè nuit d'ignorance Se de barbarie , qui avoir couvert toute l'Europe , com- mença un peu à fe difiîper, ne fut-ce pas en Provence que br. lièrent les pre- miers rayons de la Poëlie FrançoiTe , comme fi une heureuie fatalité eût voulu que cette partie des Gaules fût toujours éclairée la première ? Alors la Nature y enfanta tout- à- coup un grand nombre de Poètes dont elle avoit feule tout l'honneur; l'Art, les Règles 5 Tétude des Grecs Se des Ro- mains ne lui pouvoient rien difputer. Ces Auteurs, qui n'a voient que de l'ef- prit fans culture , dont les noms font à peine connus aujourd'hui de quel- ques-uns d'entre les Savans les plus curieux y font ceux cependant dont les Italiens ont pris le premier goût de la Poëfie; ce font ceux que les anciens Poètes de cette Nation fi fpirituelle, & le grand Pétrarque lui-même, ont regardés comme leurs Maîtres , eu du moins comme des prédéceiTeurs ref- pedables. La gloire de Pétrarque peut encore ï L'AcAÏDiMîE Fkançoîsi'; 5"5^ feîicore appartenir plus particulière- ment à la Provence par un autre en- droit : il fut infpiré par une Proven- çale. Vous aviez auffi dans ces mêmes liècles une Académie d'une conftitu- îion fingulicre : le favoir , à ia vérité, n'y dominoit pas -, mais en fa place l'efprit 6c la galanterie. L'élite de la nobleffe du Pays , tant en hommes qu'en leâimes , compofjit la fameufe Cour d'Amour, où fe traitoicnt avec iTiéthode & avec ur^e efpèce de régula- rité Académique 5 toutes les queftions que peuvent fournir ou \ts fentim.ens ou les aventures des Amans ; quedions Il ingénieufes pour la plupart , ôc 11 fi- nes , que celles de nos P^omans mo- dernes ne font ioùvent que les mê- mes, ou ne les furpg.Tcnt pas : mais il ed vrai que far ces fortes de fujets , l'étude des Anciens ' elles , peut leur être nuifible. Beaucoup d'excellens Ou\ffa- ges ont porté tous les gemps d'écrire à un point qu'il feroit très-difficile de palier ; & àhs que i'efprit ne s'élève plus , on croit qu'il tombe. La prompte décadence des Grecs & des Romains nous fait peur 5 car nous pouvons fans Ff.ij>, ' 540 Discours trop de vanité nous appliquer cesgrands. exemples. Cependant quand une place de l'Académie Françoife eft à remplir, quel ell notre embarras ? c'eft le nom- bre des bons fujets. Nous perdons Monfieur le Duc de la Force , qui joi- gnoit à une grande naiiïance ôc à une grande dignité plus de goût pour toute lorte de littérature que la naiiïance ôc les dignités n'en fouftrent ordinaire- ment , 6c même plus de talens qu'il n'ofoit en laiiTer voir; 6c aufli-tôt notre choix ell balancé entre plufieurs hom* mes ;, tous recommandables par diffé- rens endroits , & dont le nombre efl (î grand par rapport à l'efpcce dont ils font, qu il fait prefque une foule. Vous avez été choifi , Monsieur; mais dans la fuite vous vous donnerez vous- même pour Confrères ceux qui ont été vos rivaux, & cette rivalité vous dé- lerminera en leur faveur. C'a été votre belle traduftlon de la Jérufalem du Tade qui a brigué nos voix. La renommée n'a encore depuis trois mille ans confacré que trois noms dans le genre du Poëme Epique , & le nom duTafle eft le troiflème. 11 faut que les Nations les plus jaloufes de leut A l'Académie FbaKçoise. 541' gloire, les plus fières de leurs fuccès .dans toutes les autres produdions de - refprit , cèdent cet honneur à l'Italie. Alais il arrive le plus fouvent que les noms font , fans comparaifon , plus connus que les Ouvrages qui ont fait connoltie les noms. Les Auteurs célè- bres des fiècles paflfés relTemblent à ces Bois d'Orient que leurs Peuples ne voient prefque jamais, & dont l'auto- rité n'en eft pas moins révérée. Vous avez appris aux François combien étoic eflimable ce Poète Italien qu'ils efti- moient déjà tant : dès qu'il a parlé par votre bouche , il a été reçu par-tout; par-tout il a été applaudi : les hommes ont trouvé dans fon Ouvrage tout le grand du Poème Epique , & les fem- mes tout l'agréable du Roman. L'en- vie & la critique n'ont pas eu la ref- fource de pouvoir attribuer ce grand fuccès aux feules beautés du TaiTe : il perdoit les charmes de la Poëfie ; il perdoit les grâces de fa langue; il per- doit tout, fi vous ne l'euffiez dJdcni- magé : le grand , l'agréable , tout eût difparu par un IKle, je ne dis pas foi- ble Se commun , mais peu élevé & peu élégant. Auffi le Public at-il biaa F f iij 542 Discours fu démêler ce qui vous appartenoit , $C vous donner vos louanges à part. Sa voix , qui doit toujours prévenir les nôtres, vous indiqua des-lors à l'Aca- démie. Voilà votre titre, Monsieur; & nous ne comptons pas la proteccion que vous avez d'un Prince, la féconde tète de l'Etat. Ces grandes protei?cions font une parure pour le mérite ; mais elles n'en font pas un : & quand on veut les employer dans toute leur for- ce , quand on ne veut pas qu'elles trouvent de réfidance , ofons le dire, elles déshonorent le mérite lui-même» Tous les fuffrages auront été unani- mes : mais quelle trifle unanimité i On aura été d'accord ^ non à préférer celui qu'on nomme , mais à redouter fon Protedeur. Pour vous, Monsieur^ vous avez le bonheur d'appartenir à un Prince, dont la modération, dont l'amour pour l'ordre & pour la règle, qualités fi rares & fi héroïques dans ctu'A de fon rang , vous ont fauve lin- convénient d'être protégé avec trop de hauteur, & appuyé d'un excès d'auto- rité qui fait tort. Nous avons fentî ^u'il ne perm.ettoit pas à fon grand A l'Académie Françoise, 3431 nom d'avoir tout Ton poids naturel • ôc le moyen d'en douter , après qu i^ avoit déclaré expreîTément qu'il aimoit mieux que fa recommandation fût fans effet, que de gêner la liberté de l'Aca- dém.ie fllfavoit, j'en conviens, qu'il pouvoitfefier à vos talens, &àla con- noilTance que nous en avions : mais un autre en eut été d'autant plus impé- rieux, qu'il eût été armé de la raifon Se de la jufîice. Nous avons droit d ef- pérer, ou plutôt nous devons abrolu- ment croire qu'un exemple parti de fi haut fera déformais une loi , ôc votre éledion aura eu cette heureufe circonf- tance d'affermir une liberté qui nous eft fî néceiTaire Se fi précieufe. J'avouerai cependant, ôc peut être. Monsieur, ceci ne devroit - il être qu'entre vous & moi , que mon fuf- fiage pourroit n'avoir pas été lout-à- fait audi libre que ceux du refle de t'A- cadémie.Vous favez qui m'a parlé pour vous. On en efl quitte envers la plus liante naiffance pour les refpects qui lui font dus : m.ais la beauté Se les grâces cjui fe joignent à cette naiifance ont des droits encore plus puilïans, de princi- palement les grâces d'une fi grande ff iv 544 Discours jeunefTe , qu'on ne peut guères les acctr^ fer d'aucun deffein de plaire , quoique ce deilein même fût une faveur. Quel agréable emploi que celui dont vous êtes chargé ! Vous donnez à deux jeunes PrinceiTes toutes les connoilTan- ces qui leur conviennent : en nicme temps que les charmes de leur perfonne croîtront fous vos yeux , ceux de leur efprit croîtront audi par vos foins ; ÔC je puis vous annoncer de plus que les infrrudions qu'elles recevront de vous, ne vous feront pas inutiles à vous- même , 8c qu'elles vous en rendront d'autres à leur tour. La néceîTitcde vous accommoder à leur ài^e & à leur délicateile naturelle, vous accoutumera à dépouiller tout ce que vous leur ap- prendrez d'une fcchereffe ôc d'une du- reté trop ordinaires au favoir; & d'un autre côté, les perfonnes de ce rang, quand elles font nées avec de Tefprit , ont une langue particulière , des ex- preffions, des tours que les Savans fe- roient trop heureux de pouvoir étudier chez elles. Pour les recherches labo- rieufes, pour la folidité du raifonne- ment , pour la force, pour la profon- deur, il ne faut que des hommes. Four A l'Académie Françoise. 54^ One élégance naïve , pour une iimpli- cké fine & piquante, pour le fentimerit délicat des convenances , pour une certaine fleur d'efprit , il faut des hom- mes polis par le commerce des fem- mes. Il y en a plus en France que par- tout ailleurs, grâces à la forme de notre Société; & de- là nous viennent des avantages dont les autres Nations tâ- cheront inutilement ou de rabaiiler, ou de fe diffimuler le prix. La perfec- tion en tout genre confiée dans un mélange jufle de qualités oppofées , dans une réunion heureufe qui s'en fait malgré leur oppofition. L'Eloquence & la Poëfie demandent de la vivacité ôc de la fageOe , de la délicateffe & de la force; & il arrive que l'Efprit Fran- çois , auquel les hommes & les femmes contribuent affez également, efl: un ré- fultat plus accompli de différens carac- tères. L'Académie croira avoir bien rempli fa deflination , fi par Ces Coins & par (es exemples elle réufilt à per- fe(5lionner ce goût ôc ce ton qui nous font particuliers; peut-être même fuf- fira-t-il qu elle les m.aintienne. 54^ Discours ag3—iMKgMWg»»uaj^iwij»a.i.m.j«.)j»iLjiwuiii ^iwg^rtpg»»MJiifLmi ini|||imni|i m ■■ — I ■■■ ■ I .i-i-. . ■ ■— — — - ■ I ■ i.,,, ■„»■ m iiwrxa RÉPONSE De Monfieur de Fontfnellk à Monfieur L Ev équ E de Lu C O N j lorfquil fut reçu à V Académie Françoife le 6 Mars ONSIEUR, Il arrive quelquefois que, fans exa- rainer les motifs de notre conduite , on nous accufe d'avoir dans nos élec- tions beaucoup d'égard aux noms 8c aux dignités , & de fonger du moins autant à décorer notre liiie qu'à forti- fier folidement la Compagnie. Aujour- d'hui nous n'avons point cette injufte accufation à craindre. Il ert vrai que vous portez un beau nom ; il efl vrai que vous êtes revêtu d\uie dignité ref- pedable : on ne nous reprochera ce- pendant ni l'un ni l'autre. Le nom vous A l'Académie Françoise. 347 cîonneroit prefque un droit héréditai- re ; la dignité vous a donné lieu de fournir vos véritables titres, ces Ou- vrages où vous avez traité des matiè- res, qui , très-épineufes par elles-mê- mes, le font devenues encore davan- tage par les circonflances préfentes» Beaucoup d'autres Ouvrages du même genre ont eflliyé de violentes attaques , dont les vôtres fe font garantis par eux-mêmes : mais ce qu'il nous ap- partient le plus particulièrement d'ob- ferver , il y règne cette beauté de flyle , ce génie d'éloquence dont nous faifons notre principal objet. Nous voyons déjà combien notre choix efl applaudi par ce monde plus poli Se plus délicat 5 qui peut-être r.e fait pas trop en quoi confiée noi;e mérite académique; mais qui fe con- noît bien en efprit. Ce monde où vous êtes né , & où vous avez vécu , ne fe lalTe point devancer les agrémers de votre converfation & les charmes de votre fociété. Nous croirons aifé- ment que ces louanges vqus touchent peu , foit par l'habitude de les enten- dre 5 foit parce que la gravité de votre caractère peut vous les faire mépriferz; 54^ Discours mais rAcadémie eft bien-aife que Tes Membres les méritent , elle que Ton nom d'Académie Françoiie engage à cultiver ce qui e(l le plus particulier aux François, la politeile & \qs agré-. mens. Ici, Monsieur, je ne puis réfifîer à la vanité de dire que vous n'avez pas dédaigné de m'admettre au plaifii: que votre commerce faifoic à un nom- bre de perfonnes mieux choiiies ; 6c je rendrois grâces avec beaucoup de joie au fort qui m'a mis en place de vous en marquer publiquement ma recon- noiiïance , fi ce même fort ne me char- geoit auffi d'une autre fondion très- douloureufe & très-pénible. Il faut que je parle de votre iJlufîre prédécefl'eur , d'un ami qui m'étoit ex- trêmement cher, & que j'ai perdu ; il faut que j'en parle , que j'appuie fur tout ce qui caufe mes regrets , & que je mette du foin à rendre la plaie d-e mon cœur encore plus profonde. Je conviens qu'il y a toujours un certain plailïr à dire ce que l'on feiit : mais il faudroit le dire dans cette Alfeniblée d'une manière di^ne d'elle, : fo- nore, fut fourni par lui. Le jeune Au-^ teur exécuta tout ce plan dans fa Pro- vince , &: il ne toucha pas aux Canevas, qui nepouvoient fe faire qu'à Paris de concert avec le Muficien j parce que les paroles y font aniijetties à des airs de mouvement placés dans les diver- tilfemens. Tout le réde eft de lui feul , hormis les endroits qui ont été mar- qués : mais il n'y a nulle apparence que M. Defpréaux ait eu la moindre part à ces endroits-là ;•& quand il les reven- di*^ueroitpo(itivement, on ne le croi* Hh iv 3^8 Lettre. roit pas, Ci l'on connoifibit fon flyîe. Pour M. Corneille , il permit à î'Aa- teur caché de fe découvrir , & de fe vanter s'il vooloit ; ôc il lui eût laifie volontiers jufqu'au plan de la Pièce. Son extrênie modenie , que ie ne pré- tends pas exalter par un fi petit fujet , a été très -connue, ôc elle a beaucoup lelevé tout ce qu il avoir d'ailleurs de mérite & de talens. Si l'on avoit de lui nn Cornellana , il feroit un beau con- trafle avec le Bolœana. Le récit de M. Defpréaux infinue que M. Corneille avoit porté à Lulîy un Opéra tout fait , Se dit nettement que cet Opéra étoit Ci mauvais , que Luliy autou mieux aimé mettin en mnfiqnc un Exploit ; que les Vers en étoient fî obfcurs , que M. Defpréaux en deman- doitavec/^z cordialité oràinaiic l'explica- tion , que M. Corneille , fon humble Difcîple , lui donnoit , après quoi il corrigcoit ; & qu'ainfi l'Opéra lut ré- formé prefque d'un bout à l'autre. Et moi je réponds trh-cordialement à M. Defpréaux, que la Pièce fut envoyée de Province à Paris Acl;e par Aâ:e ; que fi le premier Ade eût été en ftyle d'Ex- ploit , jamais Lully n'en auroit de- Lettre. 3^9 mandé nn Tecond ; que les Vers en- voyés de Province font demeurés tels qu'ils en ont été envoyés, à quelques changemens près , légers Se rares , faits en faveur du chant; 6c que jamais ces Vers-là n'ont été blâmés par l'obfcii- rité. On peut, fi l'on veut, recommen- cer à les examiner fur ce point. A en croire le narré de M.Defprcaux ,ilau- roit fallu faire une refonte générale de cette malheureufe Poëfie, ôc il ne feroic pas poilible qu'elle ne fe fentît encore beaucoup d'avoir été galimathias dans fon origine. LuI/y, ditM. Defpréaux, crut m avoir tant e l'ExiJtcnce de Dieu, 2 2? J^u Bonheur. 24! JDe C Origine des Fa Blés. 26a Difcours de M. de Fontenelle , prononcé à C Aca- démie Françoijh le 5 Mai i6pT , jour' de fa rS- ception à ladite Académie. 25? f Lettre de Jtl. de Fontenelle , écrite à Sa A/ajefié" C:^arienne le 17 Décembre 17 ijr. 302 Rcponfe de AI. de Fontenelle à la Lettre du C:(jr. 304 Compliment fait au Roifurfon Sacre , par AI. de Fontenelle , alors Dircchur de V Académie: -Françoife^ U 9 Novembre lyiz. 30 (S 'Compliment fait au Roi le \6 Décembre lyiz , fur la mort de Aladame , par AI, de Fontenelle , alors Dire fleur de l'Académie Françoife. 308 Compliment fait le \6 Décembre 1721 ^ J", A.R» Algr le Duc d'Orléans , Régent du Royaume ,, fur la mort de Aladame , par M, de Fontenelle^ «lors DiredeuT de l'Académie, 310 3^4 TABLE. Réponfe ds liî. de Fontendle , aLrs Dirc&j^ur de V Acadcnùc Françoifa , .lu Difcotirs que S . E, Jtl. le Cardinal Dubois , premier Minijlrc , fit à cette Académie le 3 Décembre 1721 , l^rf- qu' il y fut rcçit. 3 i % Réponfe de M', de Fontendle à M. Ncricault Defiouches , lorfjuil fut reçu à L'Académis Françoife le i$ Août 1723. 314 Réponfe de M. de Fontenellc , Doj/en de l' Acadé- mie Françoife , & alors Dire^eur , au Difcours de M. de Chalamcnt de la Vifclèds , Secrétaire perpétuel ^ & Pun des Députés de l' Académie de Alarfellle , à la Réception de Mefjleurs les Députés de cette Académie , au fujet de fon Adoption par C Académie Françoife ^ le 19 Septembre \']i6. 331 Réponfe de M. de Fontenelle , Doyen de r Acadé- mie Françoife , Ù alors Direlleur , à Aï. Mli- rabaud y Icrfqu' il y jiit re(^u le 28 Septembre \7z6. ^ , ^ 339 Réponfe de 31. de Fontenelle à AI. VFveque d& l.uçon , lorfquil fit reçu à P Académie Fran~ çeife le 6 A/ars ,1751. ; 4 i Lettre de Atl. de Fontenelle à A/eJ/ieurs les Au- teurs du Journal des Savans. 3 ^4 Difcours prononcé par AI. de Fontenelle , Doyen iS Direllsur de l' ~!caiémie Françoife ^ à l'oit- vertun de l' AjfcmbUe publique du z^ Aoiit 1741. 377. Fin de la Table. IINDING LIST SEP 1 18^/ PQ 1797 F7 1766 t. 3 Fontenelle, Bernard Le Bovier de Oeuvres Nouv. éd. PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY ^i